A la veille de la douzième conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (MC12), qui se tiendra du 12 au 15 juin à Genève en présence du ministre du Commerce extérieur Franck Riester, les organisations de la société civile appellent la communauté internationale – et particulièrement l’Europe – à faire primer le droit à la santé sur les intérêts commerciaux afin de mettre fin à une pandémie responsable de la mort de plus de 15 millions de personnes, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Il y a un an et demi, les premières campagnes de vaccination étaient lancées contre le Covid-19. Les pays du G7 avaient alors multiplié les appels à la solidarité vaccinale envers les pays à faible revenu pour faire du vaccin “un bien public mondial”, tout en accaparant la quasi-totalité des doses disponibles.
Quelques entreprises pharmaceutiques, notamment Pfizer/BioNTech, Moderna et Johnson & Johnson, ont su profiter d’un soutien sans faille des pays occidentaux pour revendiquer une position hégémonique et restreindre artificiellement l’offre, en limitant le nombre d’unités de production de vaccins, malgré les demandes nombreuses d’entreprises prêtes à produire à travers le monde. Alors que ces monopoles apparaissent de plus en plus illégitimes au regard du droit de la propriété intellectuelle – l’entreprise BioNTech vient par exemple de restreindre considérablement ses prétentions en matière de brevets en Europe -, elles ont pu fixer une tarification excessive, rendant quasiment impossible l’achat de doses pour les pays les plus pauvres. Ces derniers se sont retrouvés dépendants du mécanisme international de solidarité, COVAX, lui-même obligé de ne compter que sur les dons de doses de pays occidentaux, face aux difficultés d’approvisionnement. Cette situation perdure et aujourd’hui encore, moins d’un habitant sur cinq des pays les plus pauvres a pu bénéficier d’une dose de vaccin.
Pour mettre fin à leur dépendance et protéger leurs populations, la grande majorité des pays à revenu faible et intermédiaire soutiennent, depuis octobre 2020, une proposition déposée à l’OMC par l’Afrique du Sud et l’Inde. Celle-ci vise à lever temporairement les brevets sur les vaccins, les traitements et les outils de diagnostic contre le Covid-19, et permettre ainsi leur production sans l’autorisation de leurs détenteurs et à prix abordable, tel que prévu par les dispositions légales de l’OMC. Cette proposition représente une opportunité historique de clarifier la hiérarchie des normes : le droit à la santé doit passer avant le droit de commercer.
Le 12 mars 2020, le président Macron rappelait : “il y a des biens qui doivent être placés en dehors des lois du marché”. Depuis, les négociations n’ont abouti à rien. Alors qu’une centaine d’Etats membres de l’OMC y sont favorables, les entreprises pharmaceutiques et leurs Etats hôtes ont fait tout leur possible pour ralentir les négociations et protéger leurs intérêts. L’Union européenne (UE) a notamment multiplié les contre-propositions restrictives et inopérantes. La dernière en date exclue de la discussion les diagnostics et les traitements, alors même que ces outils sont au cœur des dispositifs de lutte anti-Covid dans les pays les plus riches. Plus généralement, les contre-propositions européennes n’ont eu que pour objectif de circonscrire, voire de complexifier toujours plus l’usage des licences obligatoires et des dérogations aux droits de propriété intellectuelle, des dispositions pourtant prévues dans le droit international. Ces dernières permettent à un État en situation de crise sanitaire de produire lui-même des copies d’un médicament ou d’un vaccin si le fabricant refuse de permettre la production dans le pays concerné. Les États cherchant à user de ces droits sont souvent victimes de pressions d’autres États et des laboratoires, sans que l’OMC n’intervienne pour faire respecter les accords dont elle est pourtant garante.
C’est pourquoi nous, organisations de la société civile, réitérons ici publiquement notre désapprobation quant au texte qui sera officiellement négocié la semaine prochaine. L’Inde et l’Afrique du Sud ont également pris leur distance avec cette contre-proposition portée par l’UE.
Les défaillances de l’OMC ne sont pas nouvelles. Au plus fort de la crise du VIH, l’organisation avait laissé des Etats occidentaux faire pression sur des pays en développement cherchant à créer des copies d’antirétroviraux à des prix abordables. Des millions de morts auraient aussi pu être évités si on avait laissé des Etats exercer leur droit de faire tout leur possible pour permettre à leurs populations vulnérables d’accéder à des traitements vitaux.
Aujourd’hui, l’urgence demeure. En bloquant les négociations en faveur d’un accord ambitieux, les États les plus riches de la planète continuent de tourner le dos aux milliards de personnes dans le monde qui ont encore besoin d’accéder aux vaccins, traitements et outils de diagnostic, mais également à l’ensemble de l’humanité qui souhaite désespérément que la pandémie de Covid-19 prenne fin 2 ans et demi après son début.
La communauté internationale doit se saisir de cette rencontre pour réaffirmer la primauté du droit à la santé sur les intérêts commerciaux. La levée des brevets sur les vaccins et les traitements contre le Covid-19 doit être adoptée. Combien de futurs variants et sous-variants devons-nous encore subir avant que les États ne se rendent à l’évidence ? Les entreprises et leurs intérêts privés ne peuvent plus être les arbitres des politiques de santé publique.
Signataires :
- Action Santé Mondiale – Patrick Bertrand, Directeur exécutif
- AIDES- Camille Spire, Présidente
- CCFD-Terre Solidaire – Sylvie Bukhari-de Pontual, Présidente
- Médecins du Monde – Dr Carine Rolland, Présidente
- Oxfam France – Cécile Duflot, Directrice-générale
- Secours Catholique-Caritas France – Véronique Devise, Présidente
- Solthis – Dr Serge Breysse – Directeur-général