Entretien avec Rhéa Lobo, une cinéaste primée et ancienne journaliste spécialisée dans la santé, survivante de la tuberculose et membre du conseil d’administration du Partenariat Stop TB. Fervente défenseuse de la lutte contre la tuberculose, elle est également co-fondatrice de Bolo Didi, un réseau informel de femmes survivantes de la tuberculose en Inde qui aide les populations affectées par la TB à accéder aux systèmes de santé, promeut l’adhérence au traitement et assure un suivi psychologique. Rhéa a réalisé plusieurs films sur la santé et l’empouvoirement des femmes, avec un angle particulier pour la TB. Son film sur les droits humains et la tuberculose “Rights and Wrongs… A Tribute to Dean Lewis” a reçu des critiques très favorables de Dr. Tedros Adhanom, Directeur général de l’OMS. Rhéa a fait partie du groupe de travail qui a développé le Plan mondial pour mettre fin à la maladie d’ici 2030 et a passé la majeure partie de sa carrière à la sensibilisation en faveur d’un nouveau vaccin contre la tuberculose.
1. Vous avez vous-même combattu la maladie et dédié votre carrière à la lutte contre cette maladie mortelle. Pourquoi ce combat continue d’être pertinent aujourd’hui ?
La tuberculose est une pandémie que la communauté internationale a complètement ignoré pendant des décennies. L’OMS a déclaré la tuberculose comme crise sanitaire en 1993, soit il y a 30 ans. Cette maladie continue d’être une urgence 30 années après, alors qu’il a fallu seulement trois ans pour que le Covid-19 ne soit plus considéré comme tel. La tuberculose a toujours été la pandémie oubliée, et dont on ne parle pas assez, c’est pourquoi davantage doit être fait pour accroître l’attention accordée à la maladie et pour l’éradiquer.
La tuberculose est une maladie que nous pouvons prévenir et guérir. C’est révoltant qu’en 2023, nous parlions toujours de “gestion” de la maladie alors que nous devrions déjà l’avoir éradiquée. Il est injustifiable qu’encore 4 400 personnes décèdent chaque jour de la maladie dans le monde.
2. Depuis le début de votre engagement dans le combat contre la tuberculose, quels ont été les principaux changements et succès vers l’éradication de la maladie ?
C’est une question intéressante. A l’époque où j’étais sous traitement, beaucoup de discriminations et de stigma étaient associés à la maladie. Il m’a fallu du temps pour finalement trouver le courage d’en parler, en combattant la pression sociale. Je pense que nous avons beaucoup progressé là-dessus et qu’il est important de le souligner. Nous avons également fait beaucoup de progrès sur les diagnostics, bien qu’un long chemin doit encore être parcouru. Lorsque j’essayais d’être diagnostiquée, j’ai dû effectuer des tests frottis qui sont peu fiables – presque hasardeux. J’ai dû réaliser deux tests, ce qui montre bien le manque de fiabilité des résultats à l’époque. L’un des résultats a été négatif, puis l’autre est ressorti positif. Maintenant on dispose de tests GeneXpert, des diagnostics moléculaires et de formidables technologies.
Je suis heureuse qu’au moins nous parlions de vaccins aujourd’hui, maintenant plus que jamais auparavant. J’ai été fervente défenseuse du vaccin pendant des années. Je ne parviens pas à croire que nous continuions d’utiliser un vaccin vieux de plus de cent ans – toujours inefficace pour prévenir la maladie qui plus est – alors que pour le Covid-19, on parle d’obtenir de nouveaux vaccins en moins de 100 jours. C’est juste inconcevable. Durant les réunions des parties prenantes sur la tuberculose aux Nations unies le mois dernier (mai 2023), il y a eu beaucoup de discussions au sujet du vaccin, ce qui est encourageant. Maintenant, nous avons besoin d’acteurs qui financent le processus complet de développement d’un vaccin. Le plan mondial pour mettre fin à la tuberculose d’ici 2030 estime désormais qu’un investissement de 1.25 milliards d’USD est nécessaire dans le domaine de la R&D pour qu’un nouveau vaccin soit développé et atteindre les objectifs d’ici 2030. J’aimerais voir plusieurs vaccins en cours de développement pour les différents types de tuberculose et pour différents groupes de populations, dont les populations vulnérables telles que les enfants et les femmes enceintes.
Je pense aussi que la voix des communautés s’est renforcée. La tuberculose a longtemps été un “tueur silencieux” car la communauté a longtemps été silencieuse à ce sujet, notamment du fait des discriminations et des stigmas qui y étaient associés. Maintenant, nous disposons d’une communauté solide, des changements sont demandés aux gouvernements, et cela mérite d’être souligné.
3. Comment le développement de nouveaux outils nous permet de mieux prévenir, identifier et traiter les cas ? Quels sont les outils récemment développés ou en cours de développement qui vont changer la donne dans le combat contre la tuberculose selon vous ?
Je pense que nous disposons d’outils intéressants et d’autres sont en cours de développement. Certains tels que URINE-LAM, qui utilisent les tests urinaires pour détecter la tuberculose, sont prometteurs.
L’un des gros défis avec les diagnostics, c’est que nous soyons capables de diagnostiquer rapidement les patients pour pouvoir traiter la maladie. Beaucoup sont mal diagnostiqués pendant des semaines, des mois, voire des années. Certains prennent des médicaments pour la toux pendant des années, pensant qu’ils ont juste de la toux. Beaucoup sont aussi diagnostiqués pour une pneumonie voire même pour le paludisme avant que les docteurs parviennent finalement à identifier qu’il s’agit de la tuberculose. Les diagnostics moléculaires aident à avancer plus rapidement dans la bonne direction. Mais ce que j’aimerais vraiment voir développé serait la possibilité de diagnostiquer de la tuberculose aux points d’intervention de santé – un test que l’on peut acheter en pharmacie et qui permettrait d’identifier l’infection. Nous avons eu ce type de test très rapidement avec le Covid-19, pourquoi les choses avancent si lentement pour la tuberculose ?
Nous disposons désormais aussi d’un schéma thérapeutique plus court approuvé par l’OMS d’une durée d’un mois mois, nous pouvons traiter la tuberculose sensible aux médicaments en 4 mois et enfin traiter la tuberculose résistante à la tuberculose en 6 mois. C’est une étape encourageante. Maintenant, nous avons besoin que les gouvernements adoptent et mettent rapidement à l’échelle ces schémas thérapeutiques plus courts. Quelle utilité de disposer de ces nouveaux outils si personne ne peut y accéder ?
De même, le vaccin mRNA et l’utilisation de cette technologie pour développer un vaccin TB semblent prometteurs. Nous avons un long chemin à faire et j’espère que nous aurons davantage de candidats vaccins dans les tuyaux.
4. La tuberculose résistante aux médicaments représente un tiers des décès dus à la résistance antimicrobienne. Quels nouveaux outils aimeriez-vous voir être développés pour prévenir cela ?
Premièrement, je pense que la tuberculose doit faire partie des conversations autour de la résistance antimicrobienne. La tuberculose n’est actuellement pas intégrée aux conversations sur l’AMR à la fois en Europe et au niveau mondial, alors même que les ressources dédiées à cette maladie et les progrès effectués en la matière sont loin d’être suffisantes. Cela devrait être une priorité.
Par ailleurs, la plupart des pays continuent d’utiliser les schémas thérapeutiques qui durent un an et demi à deux ans. Nous avons besoin de mettre à échelle les outils existants et les schémas thérapeutiques plus courts approuvés, et ce rapidement pour que les patients n’aient pas à traverser deux années avant d’être guéris de la tuberculose résistante aux médicaments alors qu’ils pourraient l’être en 6 mois. Avec un peu d’espoir, cette période sera encore écourtée
5. Quels seraient selon vous des résultats satisfaisants de la réunion de haut niveau des Nations unies sur la tuberculose en 2023 en matière de TB R&D ?
Beaucoup de points importants sont encore manquants dans la première version de la déclaration sur la tuberculose. Il n’y a pas de mention de l’importance de l’accès et de l’abordabilité des nouveaux outils – ce qui est pourtant crucial pour bénéficier rapidement des retombées de la R&D. Le langage sur les droits humains est largement insuffisant, notamment en matière de droit d’accès à la science et à la santé qui sont pourtant des droits humains fondamentaux.
Une autre issue satisfaisante de la réunion de haut niveau serait l’adoption de nouveaux schémas thérapeutiques à travers le monde – il devrait y avoir du langage spécifiquement dessus dans la déclaration afin que les États membres adoptent effectivement des schémas thérapeutiques plus courts.
L’OMS a également souligné que le manque de R&D est un facteur fondamental de la pandémie de tuberculose dans son rapport “Global investments in TB research: past present and future”. Une grosse priorité est donc de financer l’ensemble de la R&D en matière de tuberculose – qu’il s’agisse des vaccins, des diagnostics ou des médicaments. Lors de la précédente réunion de haut niveau des Nations unies en 2018, les gouvernements se sont engagés à investir 2 milliards d’USD annuellement dans la R&D pour la tuberculose pendant 5 ans, dont 550 millions de dollars spécifiquement en faveur du vaccin. En 2021, seulement 30% des engagements étaient investis, et le vaccin contre la tuberculose ne recevait que 15% de la cible convenue. Nous sommes loin des objectifs fixés. Actuellement, le Plan mondial pour mettre fin à la TB d’ici 2030 liste des demandes financières spécifiques. Nous avons besoin d’assurer que les pays s’engagent et prennent leur part dans le financement de la R&D en matière de tuberculose ainsi que dans la réponse globale.
Nous avons aussi désespérément besoin d’engagements et d’actions multi-sectoriels, et de prioriser l’élimination des barrières pour assurer un accès abordable et équitable aux technologies qui sauvent des vies.
Si nous faisons preuve d’une forte volonté politique durant la prochaine réunion de haut niveau des Nations unies sur la tuberculose en septembre 2023, je crois sincèrement que nous nous rapprocherons de notre objectif d’éradiquer la maladie d’ici à 2030. Il est temps pour les gouvernements de passer de la parole aux actes.