Entretien d’Olivier Bruyeron. Directeur général du Gret de 2013 à 2019, Olivier Bruyeron a été élu le 26 novembre 2020 président de Coordination SUD, et a depuis rejoint le conseil d’administration de l’Agence française de développement (AFD).
1. Selon vous, quel rôle peut jouer l’accès de tou·te·s aux services sociaux de base tels que l’EAH (accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène) , la santé, la protection sociale et l’éducation dans la réduction des inégalités ? Pouvez-vous nous parler de l’interaction entre ces services et de leur renforcement mutuel ?
Aujourd’hui, la réduction des inégalités mondiales est indispensable à la construction de sociétés socialement et écologiquement durables. L’Histoire a montré que face aux crises, ce sont les populations les plus vulnérables qui sont les plus touchées : les revenus économiques des femmes ont davantage chuté que ceux des hommes lors de la crise de la Covid-19, les personnes handicapées sont les premières victimes dans les déplacements de populations liés aux conflits ou aux catastrophes, les populations les plus pauvres de la planète sont les plus impactées par les effets du changement climatique et les enfants subissent les conséquences les plus sévères en période de famine. « Commencer par la base dans les politiques de développement nécessite de se préoccuper en priorité des populations, de leurs conditions de vie et du respect de leurs droits. Cela passe par un égal accès pour tous et toutes à la santé et aux soins, à l’eau et à l’hygiène, à l’éducation, à une alimentation saine et en quantité suffisante, à une protection sociale… Les services sociaux sont à la base des sociétés et du vivre ensemble. Il s’agit de garantir à tous et toutes les conditions de l’indépendance, de l’émancipation, du pouvoir d’agir, de l’autodétermination. Ce serait une erreur de penser que le développement économique de quelques-unes et quelques-uns permettra l’établissement de services sociaux pour tous et toutes. Il faut donc une réelle volonté politique en faveur de la mise en place de services sociaux sensibles aux besoins spécifiques des individus afin qu’ils ne soient pas excluants et ainsi donner à tous et toutes la capacité de s’impliquer économiquement, socialement et politiquement dans la vie de la cité.
2. Coordination SUD a réalisé une étude sur la stratégie de la France vis-à-vis de l’utilisation des prêts et des dons au sein de son Aide publique au développement et sur l’impact du choix de ces instruments financiers sur le soutien aux services sociaux de base. Les résultats seront publiés sous peu mais pouvez-vous nous partager les raisons pour lesquelles vous avez réalisé cette analyse ?
Comme je l’ai dit précédemment, les crises impactent en premier lieu les populations les plus vulnérables. Donner la priorité à la lutte contre les inégalités est urgent. Pour ce faire, Coordination SUD promeut une vision de l’aide publique au développement française détachée de tout intérêt politique et économique national afin qu’elle remplisse entièrement son rôle de redistribution des richesses au niveau mondial et de contribution à la réponse aux besoins et attentes des populations les plus fragiles. Depuis le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) de 2018, la France affirme comme prioritaires les secteurs de la santé, l’éducation, la nutrition, l’accès à l’eau… En bref, les services sociaux de base permettant une réelle amélioration des conditions de vie des personnes les plus vulnérables. Ces priorités ont également été réaffirmées dans la loi du 4 août 2021 relative à la lutte contre les inégalités mondiales. Pourtant, la France est un des trois pays pourvoyeurs d’aide publique au développement de l’OCDE qui utilise le plus de prêt, à défaut du don. A travers cette étude, nous avons voulu regarder si le prêt, dans ses volumes actuels dans l’APD française, permet effectivement d’atteindre les objectifs du CICID et de la loi. Elle nous permet également de nous interroger sur le caractère souhaitable et durable ou non du prêt pour favoriser le développement des pays les plus pauvres, souvent peu solvables et qui sont pourtant la cible prioritaire de notre APD. Les résultats de l’étude à paraître prochainement s’appuient majoritairement sur les chiffres de l’OCDE et mettent par exemple en évidence, qu’actuellement la France mobilise moins du quart de son APD pour financer les services sociaux de base.
3. Comment l’aide publique au développement française pourrait-elle soutenir plus efficacement l’accès aux services sociaux de base ? Comment abordez-vous la prochaine échéance du CICID ?
Si nous sommes convaincu·e·s que l’utilisation du prêt est nécessaire pour un certain nombre de projets de développement, nous pensons qu’il est nécessaire d’opérer un rééquilibrage entre le prêt et le don afin de mieux cibler les services sociaux de base. Cela est d’autant plus urgent que les pays qui nécessitent le plus d’aide sont souvent les pays les plus endettés et que les taux d’intérêts sont durablement en hausse. Le CICID devra statuer sur une trajectoire à la hausse des crédits alloués à l’aide publique française, dans le but de respecter l’engagement inscrit dans la loi du 4 août 2021 et réitéré plusieurs fois par le président de la République. La première manière de rééquilibrer cette part de don est de faire en sorte que cette augmentation soit portée prioritairement par l’octroi de crédits budgétaires sous forme de dons, notamment via le programme « Solidarité avec les pays en développement » géré par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE). Deuxièmement, dans le cadre du CICID, nous proposons une cible atteignant 50 % de l’aide publique au développement totale de la France qui sera allouée à des projets de renforcement des services sociaux de base : de santé, d’éducation en particulier des jeunes filles, d’accès à l’eau et à l’assainissement, à l’alimentation et à la protection sociale. Par ailleurs, il est particulièrement important que la France soit ambitieuse dans le financement de ces services pour éviter tout phénomène de privatisation excessive déjà largement observable dans certains domaines comme la santé et l’éducation.