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Pour lutter efficacement contre la malnutrition, nous devons nous attaquer aux inégalités femmes-hommes.

By 24 septembre 2024No Comments

Entretien avec Abena Thomas-Mambwe, conseillère en matière d’égalité entre les hommes et les femmes au sein du Secrétariat du mouvement SUN (Scaling Up Nutrition), détachée par World Vision International. Abena a plus de 15 ans d’expérience dans le domaine de la santé et de la nutrition des mères, des nouveau-nés, des enfants et des adolescents, ainsi que dans celui des maladies infectieuses et de la programmation. Son rôle, en tant que conseillère en matière de genre, est de soutenir le travail du Mouvement sur l’égalité des sexes dans le cadre de la stratégie SUN 3.0, en facilitant et en coordonnant le plaidoyer et l’engagement en matière de genre et de nutrition à l’appui des priorités et des résultats en matière de nutrition menés par les pays et pris en charge par les pays.

1. Comment la lutte contre la malnutrition et la lutte pour les droits des femmes sont-elles nécessairement liées ?

La lutte contre la malnutrition et la lutte pour les droits des femmes sont profondément liées. Plus d’un milliard de femmes et de filles souffrent de dénutrition, de carences en micronutriments et d’anémie, comme le souligne le rapport de l’UNICEF intitulé Dénutries et oubliées. Le rapport SOFI récemment publié a confirmé que les femmes et les filles connaissent systématiquement des taux plus élevés d’insécurité alimentaire en raison d’inégalités systémiques entre les sexes.

Ces inégalités ont un impact sur l’accès aux aliments nutritifs, aux soins de santé, à l’éducation et aux opportunités économiques. Les femmes et les filles mangent souvent en dernier et moins que les autres membres de leur ménage, et la malnutrition pendant la grossesse augmente les risques de complications, perpétuant un cycle négatif en matière de santé. La malnutrition retarde également la croissance et le développement cognitif des enfants, ce qui limite encore les perspectives économiques et éducatives, et renforce l’inégalité entre les hommes et les femmes d’une génération à l’autre.

Pour lutter efficacement contre la malnutrition, nous devons nous attaquer aux disparités entre les sexes qui empêchent les femmes et les filles d’agir, de prendre des décisions, d’accéder aux ressources et aux opportunités tout au long de leur vie. Si nous ne nous attaquons pas à ces inégalités sous-jacentes, les progrès durables vers les objectifs de nutrition et les objectifs de développement plus larges restent hors de portée.

“En d’autres termes, nous ne parviendrons pas à combattre efficacement la malnutrition si nous ne nous attaquons pas aux causes et à l’impact de la discrimination fondée sur le genre. La promotion de la diversité, de l’inclusion, de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles doit être au cœur du travail du Mouvement SUN.” Renforcer l’égalité hommes-femmes et l’autonomisation des femmes et des filles pour combattre la malnutrition : Un appel à l’action

2. Comment les pays et le mouvement SUN (y compris au sein des bailleurs internationaux, du secteur privé et des réseaux d’organisations de la société civile) agissent-ils pour faire progresser l’agenda du genre dans la lutte contre la malnutrition ?

Le Mouvement SUN réunit 66 pays, quatre États indiens et divers partenaires, dont des entreprises, la société civile et des agences des Nations unies, afin de stimuler la volonté politique, de garantir le financement et de promouvoir la collaboration intersectorielle. La stratégie SUN 3.0 reconnaît le rôle que jouent l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes pour garantir un monde exempt de malnutrition sous toutes ses formes et cherche à faire progresser l’égalité des hommes-femmes et à encourager le leadership des jeunes dans l’ensemble du mouvement. Voici nos principaux objectifs :

1- Promouvoir l’intégration d’une action transformatrice et sensible au genre dans les politiques, plans et budgets de nutrition aux niveaux national et infranational. Par exemple, au Salvador, « Crecer Juntos » (Grandir ensemble), une série d’initiatives législatives pour le développement de la petite enfance, a été lancée en 2019. Il s’agit notamment de la loi « Amor Convertido en Alimento » (l’amour se transforme en nourriture) qui garantit les droits des femmes et des enfants à l’allaitement, en assurant des environnements et des conditions adéquates pour promouvoir, protéger et soutenir l’allaitement maternel.  Plus de 1000 conseillères en allaitement ont été formées au Salvador (grâce au projet de coopération EU4SUN) et 400 salles de lactation ont été ouvertes dans tout le pays et dans chacune de ses représentations à l’étranger. Avec le soutien de la coordination régionale SUN en Amérique latine, le modèle utilisé au Salvador fait l’objet de discussions en vue d’être reproduit au Costa Rica.

Autre exemple, au Nigeria, dans le cadre du projet de nutrition des femmes et des filles, la société civile qui s’emploie à améliorer la nutrition au sein du pays (CS-SUNN) en collaboration avec FHI360, Alive & Thrive, 1 000 Days et Intake, et avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates, a aidé le ministère fédéral de la condition féminine et du développement social à élaborer une directive nationale sur l’autonomisation des femmes et des filles en vue d’une nutrition optimale. Cette directive devrait être lancée avant la fin de l’année 2024.

2- Favoriser un environnement d’apprentissage et d’échange entre pairs pour permettre un changement de politique et une action au niveau du pays. Par exemple, le Secrétariat du réseau de la société civile SUN, SUN CSA Viet Nam et FHI 360 ont organisé une série de webinaires mondiaux sur la réduction de l’écart nutritionnel entre les sexes, suivie d’une formation en personne au Viet Nam pour 14 pays. Les participants ont ensuite élaboré des plans d’action concrets sur la manière dont ils allaient mettre à profit leurs connaissances.

3- Rassembler les parties prenantes pour un plaidoyer collectif sur l’investissement en faveur de la nutrition et l’action autour du genre et de la nutrition. Au début de l’année, nous avons rejoint la coalition Gender Transformative Framework for Nutrition pour co-organiser un événement parallèle virtuel lors de la CSW68 – Unveiling the Power of Gender Transformative Nutrition, afin de promouvoir les investissements dans la nutrition en tant que point d’entrée pour l’égalité des sexes et d’explorer les applications pratiques du cadre dans les programmes de développement communautaire transformateurs en matière de genre.

La Stronger Foundations a également lancé « Nourish Equality », un guide d’octroi de subventions qui analyse les données probantes relatives aux intersections de l’égalité des genres et de la nutrition et qui plaide en faveur d’un investissement plus important. Le Secrétariat du SUN collabore avec la Stronger Foundations, l’UNICEF et ONU Femmes pour organiser une session intitulée « S’unir pour nourrir l’égalité » lors de 79e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, afin d’insister sur la nécessité d’une action et d’engagements forts en matière de genre et de nutrition, dans la perspective du Rassemblement mondial du SUN (SUN Global Gathering) en novembre et de sommet Nutrition for Growth à Paris en 2025.

3. Quelles actions les parties prenantes peuvent-elles entreprendre pour combler le fossé nutritionnel entre les sexes et améliorer la situation nutritionnelle des femmes ?

En 2019, le Mouvement SUN a lancé un appel à l’action pour toutes les parties prenantes. Dans cet appel, il décrit les actions clés pour chaque groupe de parties prenantes – États membres, société civile, universités, bailleurs, organisations multilatérales. Nous avons toutes et tous un rôle à jouer et je me ferai l’écho des quatre actions clés que toutes les parties prenantes peuvent entreprendre :

  1. Comprendre comment les actions et les programmes en faveur d’une meilleure nutrition ont un impact différent sur les femmes, les hommes, les filles et les garçons.
  2. Obtenir un soutien – à tous les niveaux – sur la nécessité d’aborder en tandem la bonne nutrition, le développement de l’enfant, l’autonomisation des femmes et des filles et l’égalité entre les hommes et les femmes ;
  3. Inclure les femmes, les adolescentes et les jeunes dans les discussions sur la nutrition et le développement et prendre en compte leur voix dans la prise de décision ;
  4. Encourager les dirigeant·es à s’engager en améliorant les investissements publics et en utilisant une budgétisation sensible au genre dans les programmes qui traitent de la nutrition.

Le retour sur investissement en matière de genre et de nutrition est évident. Il faut que les parties prenantes comprennent que l’investissement dans la nutrition des femmes et des filles a des retombées au-delà de l’individu : pour les ménages, les communautés, les sociétés et les générations futures.

Chaque dollar consacré à l’intensification des interventions nutritionnelles en faveur des femmes enceintes et des enfants rapporte 16 dollars1. L’élimination de l’anémie et la lutte contre la dénutrition, l’obésité et la surcharge pondérale permettront non seulement de sauver des vies, mais aussi d’accroître la productivité économique de 17%2. Selon le rapport de la FAO sur le statut des femmes dans l’agriculture, « combler les écarts entre les hommes et les femmes en matière de productivité agricole et de rémunération dans les emplois du système agroalimentaire permettrait également d’augmenter le produit intérieur brut mondial de près de 1 000 milliards de dollars et de réduire l’insécurité alimentaire mondiale d’environ 2 points de pourcentage (environ 45 millions de personnes)3 ».

En novembre prochain, le Mouvement se réunira au Rwanda pour le Rassemblement mondial (SUN Global Gathering) afin de replacer la nutrition au cœur des objectifs de développement durable (ODD) et de partager les expériences et les bonnes pratiques en vue d’unifier les pays et de consolider les engagements nationaux en faveur de l’agenda de la Nutrition pour la croissance. Notre objectif est de placer le genre et le leadership des jeunes au cœur de l’agenda.


 

1 Women Deliver. Deliver for Good: The Investment Case for Women and Girls. Retrieved from https://womendeliver.org/wp-content/uploads/2017/03/Deliver-for-Good-Booklet.pdf

2 UNICEF, 2023. Adolescent Girls: The Investment Case. Retrieved from www.unicef.org/media/144956/file/Adolescent_Girls_The_Investment_Case_2023.pdf

3 FAO, 2023. The status of women in agrifood systems. Rome. https://doi.org/10.4060/cc5343en