Entretien avec Sareen Malik, Secrétaire exécutive de l’African Civil Society Network on Water (ANEW) et Vice-présidente Sanitation and Water for All.
1. Selon vous, quel rôle peut jouer l’accès de tou·te·s aux services sociaux de base tels que l’EAH (accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène), la santé, la protection sociale et l’éducation dans la réduction des inégalités ? Pouvez-vous nous parler de l’interaction entre ces services et de leur renforcement mutuel ?
Investir en faveur de l’accès universel à l’eau et à l’assainissement peut non seulement faire une différence considérable en termes de santé publique, mais également avoir un effet catalyseur sur d’autres secteurs. En réduisant la malnutrition et les maladies transmises par l’eau, l’accès à l’eau et à l’assainissement évite des millions de décès prématurés et maladies chez les enfants, et garantit aux adultes une espérance de vie plus longue et une meilleure santé. L’amélioration de l’assainissement permet aussi une meilleure qualité de vie, notamment une hausse de la fréquentation scolaire, davantage d’intimité et de sécurité (en particulier pour les femmes, les enfants et les personnes âgées) et un sentiment de dignité accru pour tous.
Sanitation and Water for All a publié un handbook récemment sur « Eau, assainissement et hygiène pour les ministres des Finances » qui démontre que la croissance annuelle moyenne dans les pays à faible revenu sans accès amélioré aux services d’eau potable et d’assainissement est de 0,1% mais de 3,7% dans les pays à faible revenu avec accès amélioré aux services d’eau potable et d’assainissement. Selon ce rapport, l’eau et l’assainissement sont un créneau d’investissement très intéressant pour les pays, permettant de réaliser des gains importants notamment que :
- Le retour sur investissement s’établit à quatre dollars pour chaque dollar investi dans l’eau et l’assainissement
- Les pertes économiques annuelles totales dues à l’insuffisance des services sont estimées à 260 milliards de dollars US, soit approximativement l’équivalent d’un recul annuel moyen de 1,5 % du produit intérieur brut
- Les investissements en matière d’eau et d’assainissement ciblant les pauvres offrent l’avantage marginal le plus élevé
L’accès à l’eau et l’assainissement est fondamental : la mise en place d’un réseau EAH permet le bon fonctionnement des écoles et établissements de santé, ce qui permet un accès favorisé aux opportunités ainsi qu’à une meilleure qualité de vie. C’est une question de survie. L’eau et l’assainissement est devenu un sujet de vie et de mort, il faut le dire car si le manque d’accès à l’eau ne tue pas immédiatement il tuera plus tard : par des maladies, par le manque d’accès à l’école et à l’éducation, le manque d’accès à des opportunités professionnelles, etc.
L’accès à l’eau est également un levier indispensable pour la condition des femmes : il permet aux femmes africaines de dédier leur temps à autre chose qu’à la corvée d’eau ; il limite les maladies féminines, etc. Aujourd’hui il est clair qu’aucun pays ne va pouvoir se développer sans agir sur la condition des femmes et des filles : leur accès à l’eau, leur accès à l’école, leur accès à la santé, etc. sans cela l’espérance de vie de la population est juste réduite.
2. Quels sont les principaux défis actuels et quelles ont été les conséquences de la pandémie de la Covid-19 dans l’accès des populations aux services sociaux de base en général et plus précisément à l’EAH, la santé et l’éducation ?
Les conséquences des pandémies telles que la Covid-19 sur la population mettent en exergue la vulnérabilité de ceux qui n’ont accès ni à l’eau salubre, ni aux installations de lavage des mains. La Covid-19 a finalement été une période d’accélération pour l’accès à l’eau et à l’assainissement, car nous n’avions plus le choix. Les Etats ont tout mis en œuvre pour permettre l’accès de l’eau potable pour leurs populations. Cela a tout d’un coup était possible. Mais nous n’avons pas assez, collectivement, analysé ce que les Etats ont fait pour chambouler leur système de distribution d‘eau et faire en sorte que même dans les coins les plus reculés d’un territoire, il y ait de l’eau et du savon à disposition.
Qu’est ce qui a permis cela, alors que ce n’était jusqu’à présent pas envisageable ? Et qu’a-t-on tiré comme leçons de ce momentum qui n’a pas perduré dans le temps ? Aujourd’hui, une fois la pandémie terminée, les systèmes d’accès à l’eau mis en place ont disparu. Mais il est nécessaire d’analyser les réponses mises en place par les Etats et les gouvernements pour que, dans l’urgence, soit distribuée de l’eau gratuite à tous. On constate que les pays ont été capables de prendre des décisions au niveau national, de se coordonner en interministériel, entre différents secteurs, pour travailler conjointement à une garantie d’accès à des services de base à la population. La question est aujourd’hui : a-t-on fait assez pour continuer ce qui a été possible à un moment donné ? En tant que société civile, il est essentiel de garder la pression sur ces États qui ont démontré qu’ils étaient capables d’agir dans l’urgence pour s’assurer que chacun ait accès à l’eau.
3. Quels sont aujourd’hui les principaux défis pour garantir un accès équitable et universel à ces services ?
J’identifie plusieurs défis :
- Tout d’abord, le manque de redevabilité : cela reste aujourd’hui la principale barrière pour garantir l’accès à ces services. Il est urgent de renforcer les systèmes de redevabilité dans les pays, ainsi que la lutte contre la corruption. En Afrique, ce n’est pas une histoire de capacités ou de ressources, mais bien un enjeu d’orientation des fonds qui relève au final de la redevabilité, de l’intégrité, de la participation et de système d’anti-corruption. C’est un défi qui devient de plus en plus important, notamment après le Covid, pour poursuivre les efforts. Il est essentiel d’avancer sur ce point-là, et de se remobiliser sur l’établissement d’un système de redevabilité. Les gouvernements doivent être redevables de leurs choix politiques, de leur manque d’efficacité, de leur manque d’intérêt pour les services de base, de leur manque de volonté politique pour les garantir. Cela implique d’analyser concrètement comment la trésorerie des ministères et les financements ont été engagés vers les projets d’eau et d’assainissement pendant la période de la pandémie : comment et pourquoi l’ont-ils fait ? Que faudrait-il pour maintenir ces systèmes de financement ?
- Un autre défi relève de la formulation de la loi (voir la précision en fin d’interview) : comment est-ce que les lois sont formulées et sont-elles assez encadrantes et contraignantes ? Il faut que les lois garantissent et encadrent la redevabilité, la participation citoyenne et la transparence, qu’un cadre soit donné pour suivre l’ensemble des financements distribués aux secteurs sociaux de base. Le système légal doit être assez précis et protecteur pour permettre de faire un suivi transparent de ce qui a été fait. Cela permettrait aussi de comprendre ce qui détermine les choix politiques aujourd’hui en matière de financements.
- Enfin, un dernier défi relève du mécanisme de ring fencing dans le secteur EAH : cet enjeu de préserver les financements de l’EAH revient aujourd’hui plus fortement car ces financements ne sont plus assez protégés et se retrouvent régulièrement à financer d’autres types de projets plus rémunérateurs. En Afrique de l’est, il est courant que les gouvernements aient transféré de l’argent du secteur eau pour financer des projets d’infrastructures, de routes ou même de sécurité. La question est aujourd’hui de savoir comment protéger les financements de l’eau pour que ceux-ci ne financent pas d’autres secteurs de type infrastructures / sécurité. Cette problématique d’un détournement des fonds SSB vers d’autres secteurs plus capitalistiques se pose aussi pour tous les SSB. Il est essentiel de travailler davantage sur cet enjeu et de se mobiliser pour remettre le mécanisme du ring fencing au cœur des SSB. Il est intéressant d’examiner combien les gouvernements dépensent pour leurs SSB, sur leur budget national et à quelle hauteur ces SSB sont couverts par des financements étrangers. Cela montre le niveau de priorité donné aux SSB par un pays.
4. Comment l’aide publique au développement pourrait-elle soutenir le renforcement de cet accès ?
La France se doit de mettre plus de force sur le sujet de la redevabilité et user de son influence internationale pour pousser un système ambitieux au niveau international. Elle doit, par son aide publique au développement, investir davantage dans le plaidoyer pour la redevabilité et soutenir davantage la société civile pour faire ce suivi de la redevabilité. Cet engagement doit passer par la création d’un programme de renforcement des différentes dimensions de la gouvernance, notamment la redevabilité, les enjeux d’intégrité et système anticorruption, de ring fencing, etc. Financer la gouvernance permet de tout couvrir, et de faire le suivi du renforcement des SSB dans les pays. C’est pourquoi il est essentiel que la France porte ces sujets de gouvernance lors de la conférence sur l’eau des Nations Unies en mars 2023. A son niveau, la société civile française peut pousser davantage pour que l’AFD s’engage sur ces questions de gouvernance et de contrôle indépendant de la gouvernance dans leurs financements.
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“Laws should clearly articulate rights and obligations and create an enabling environment for realizing them. To create that enabling environment, laws must clearly articulate rights and obligations. They should define the contours of these rights and obligations so that what it means to “realize a right” is measurable. That is to say that it should be clear to identify when a right has or has not been attained. However, sometimes laws are silent. Other times, laws can intentionally or unintentionally hinder the realization of certain rights and goals. Still, laws can also be insufficient to establish meaningful rights or rules. For laws to create an enabling environment they must both identify and clearly define the rules of conduct and action.” dans STILL PROGRESS Reviewing the Implementation of the Human Right to Water and Sanitation in Francophone Africa, élaboré par Alexandra Campbell-Ferrari et Luke Wilson du Center for Water Security and Cooperation. Rapport disponible ici.