Entretien avec Jessica Beagley, chargée du développement des politiques de The Global Climate and Health Alliance ou GCHA (l’Alliance mondiale pour le climat et la santé en français). Elle travaille notamment sur les efforts de sensibilisation des enjeux liés à la santé dans les négociations de la CCNUCC, sur l’évaluation des contributions déterminées au niveau national en tant qu’éléments clés d’une reprise saine et durable, sur la collaboration avec les partenaires nationaux concernant les processus politiques locaux, et sur la recherche et l’analyse pour soutenir les demandes de campagne de la GCHA sur l’élimination progressive des combustibles fossiles, entre autres.
1. Pour la première fois, une journée officielle de la santé est inscrite à l’ordre du jour de la COP. Qu’attendez-vous de cet événement ? À quoi ressemblerait un succès ?
Tout d’abord, la Journée de la santé est une très bonne occasion de sensibiliser aux liens entre la santé et le changement climatique. Ces liens ne se reflètent normalement pas dans l’espace de discussion de la CCNUCC, et l’organisation d’une journée de la santé à la COP est un premier pas dans la bonne direction. Il est également important de rappeler que la Journée de la santé en elle-même ne résoudra pas la question de savoir si l’action climatique est suffisante ou non pour protéger la santé. La Journée de la santé définira le thème de certains événements et manifestations parallèles qui auront lieu le 3 décembre, mais cela ne se répercutera pas nécessairement sur les négociations – et c’est là que nous devrons vraiment nous coordonner afin d’obtenir des décisions et des actions saines en matière de climat.
Concernant ce que nous espérons voir lors de cette Journée de la santé, nous avons bien sûr besoin d’événements qui attirent non seulement le secteur de la santé, mais aussi le secteur travaillant sur le climat au sens large, afin que leurs membres puissent interagir et entamer des discussions sur les manières de collaborer, de sorte que nous puissions repartir après la COP en nous coordonnant mieux que nous n’avons pu le faire jusqu’à présent. Mais surtout, nous voulons que l’élan et l’intérêt suscités par la Journée de la santé soient réellement repris par les parties et qu’elles intègrent ces priorités et cette réflexion dans les négociations – afin de prendre des engagements et de les mettre en œuvre.
2. Lorsque nous évoquons les politiques de développement et de financement, nous sommes souvent confrontés à des fractures sectorielles, par exemple « la santé contre le climat ». L’analyse de votre fiche d’évaluation des MNT en santé évalue la mesure dans laquelle les engagements nationaux des gouvernements en matière de climat reconnaissent les nombreux liens avec la santé et y répondent. Elle montre que de nombreux pays sont pleinement engagés dans l’intégration. Quelles sont les leçons principales que nous pouvons tirer de cette analyse ?
Oui, cette analyse nous montre que plus de 90 % des maladies non transmissibles (MNT) incluent un certain niveau de considérations liées à la santé. Il s’agit d’impacts sur la santé ou d’actions nécessaires pour s’adapter aux menaces sanitaires croissantes causées par le changement climatique, et les lacunes les plus importantes que nous constatons concernent l’existence ou non d’un financement pour mettre en œuvre certaines de ces actions pour y remédier. Malheureusement, il n’y a pas non plus beaucoup d’attention prêtée aux retours sur investissement que des actions climatiques saines pourraient apporter. Nous savons qu’il s’agit là d’un élément essentiel pour justifier la nécessité de ressources financières plus adéquates pour soutenir l’action en faveur du climat. Parmi les autres domaines dans lesquels nous n’avons pas vu autant de progrès dans les contributions déterminées au niveau national qu’il serait souhaitable, il y a celui des co-bénéfices de l’atténuation du changement climatique.
La transition depuis les énergies fossiles vers les énergies renouvelables entraîne une amélioration de la qualité de l’air. Cette amélioration peut réduire la morbidité et la mortalité dues à un certain nombre de problèmes de santé – en particulier les MNT. D’autres changements, tels que l’utilisation des transports en commun plutôt que les véhicules personnels, la marche à pied ou le vélo, augmenteraient l’activité physique et réduiraient également le risque de MNT. Enfin, concernant l’agriculture et notre alimentation, il faut se tourner vers des régimes alimentaires sains et durables, riches en végétaux et beaucoup moins riches en viande et en aliments transformés.
3. Un récent rapport intitulé « Improving Investment in Climate Change and Global Health » sur l’amélioration des investissements dans le changement climatique et la santé mondiale montre que les investissements dans le secteur de la santé par les fonds climatiques sont proches de zéro, malgré une opportunité évidente pour des projets d’adaptation et d’atténuation du changement climatique à grande échelle dans le secteur de la santé. Comment expliquez-vous cette situation ? Et que peut-on faire pour inverser cette tendance ?
Je pense que lorsque nous réfléchissons au financement, il faut garder en tête que de nombreux secteurs voient le financement climatique comme une réponse à leur propre manque de ressources. Mais, nous savons qu’il n’y a déjà pas assez de financement pour le climat à l’échelle mondiale. Nous savons également que le financement de la santé dans le monde n’est pas suffisant pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés. La première chose à faire est donc d’augmenter les fonds consacrés au climat et à la santé.
En attendant, il est important de réfléchir à la manière dont nous pouvons utiliser ce financement limité de manière plus stratégique, et donc de réfléchir aux investissements susceptibles d’avoir un rendement élevé sur la santé, qu’ils relèvent ou non du secteur de la santé à proprement parler. L’investissement de fonds climatiques dans des installations sanitaires résistantes protégera les gens des maladies transmises par l’eau, par exemple. Inversement, l’investissement de fonds dédiés à la santé dans des panneaux solaires et des batteries dans les établissements de soins de santé ruraux contribuera à atténuer le changement climatique, tout en garantissant une meilleure continuité de la prestation de services. Nous devons nous poser deux questions : comment optimiser les avancées pour la santé grâce aux financements climatiques, et comment optimiser les avancées climatiques grâce aux financements disponibles pour la santé ?
Enfin, il est essentiel de réfléchir à la provenance des ressources pour toute nouvelle annonce de financement en faveur du climat et de la santé. Dans l’idéal, il s’agirait de financements nouveaux et supplémentaires, mais, à titre d’exemple, si des fonds sont retirés de projets pour une agriculture résiliente et investis dans des systèmes de santé résilients, nous ne ferons qu’accroître le fardeau qui pèse sur le système de santé en raison de la malnutrition. Nous devons donc appeler à un financement du climat et de la santé qui adopte réellement une approche holistique de la santé.