Entretien avec Naomi Wanjiru, membre du réseau international d’activistes pour le Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme Global Fund Advocates Network et infirmière dans une clinique spécialisée dans la lutte contre la tuberculose et le VIH/sida au Kenya.
1. En tant qu’infirmière, votre travail se consacre à améliorer l’accès à la santé pour toutes et tous. Comment les systèmes de santé communautaires contribuent-ils à réduire les barrières liées aux droits humains et au genre et donc à lutter contre les inégalités en matière de santé ?
Les systèmes de santé communautaires jouent un rôle essentiel en complétant le travail du système de santé publique. C’est grâce à l’approche communautaire que les besoins sanitaires de toutes et tous peuvent être pris en compte et défendus.
Les agent·e·s de santé communautaire sont celles et ceux qui permettent de fournir des services de santé de base à l’ensemble de la société. Ce sont ces personnes qui identifient et mettent en relation les populations vulnérables avec les établissements de santé pour qu’elles aient accès à des soins spécialisés. Elles distribuent également des produits de santé essentiels comme des préservatifs, des lubrifiants, des moustiquaires, des kits d’hygiène, etc. Tout cela permet d’améliorer l’accès aux produits de prévention qui n’auraient pas été accessibles à une partie de la population. Les personnes atteintes du VIH/sida, de la tuberculose, du paludisme, et aujourd’hui du COVID-19 souffrent parfois de stigmatisation dans les structures de santé publiques. En tant que patients et patientes, elles préfèrent s’adresser aux agent·e·s de santé communautaire qu’elles connaissent et en qui elles ont confiance : autant pour ne pas révéler leur statut que pour leur apporter un soutien.
Grâce à la mobilisation des agent·e·s de santé, les personnes les plus difficiles à atteindre et marginalisées peuvent accéder à des services de santé comprenant la prévention des maladies, les soins, le soutien et également les traitements. Cela permet de briser les inégalités en santé et de réduire certaines barrières d’accès aux soins comme les barrières liées au genre et aux droits humains. Aujourd’hui, je pense qu’il est nécessaire de soutenir davantage ce cadre fourni par l’approche communautaire en santé, notamment en veillant à ce que les agent·e·s de santé, qui sont aujourd’hui principalement des bénévoles, deviennent des professionnel·le·s rémunéré·e·s pour rester motivé·e à fournir un excellent travail.
2. Selon vous, quelles sont les conséquences de la crise du Covid-19 sur l’égalité d’accès au diagnostic et au traitement du VIH/sida, de la tuberculose et du paludisme ? Comment avez-vous remarqué ces conséquences dans votre travail quotidien ?
Cela fait 13 ans que je travaille dans une clinique spécialisée dans la lutte contre le VIH et la tuberculose et je peux vous dire que l’arrivée de la pandémie du Covid-19 a eu un impact considérable sur l’accès au diagnostic et au traitement de ces maladies. Pour la première fois, les patient·e·s avaient peur de se rendre dans les établissements de santé par crainte de contracter le Covid-19. Cela a entraîné un retard dans le diagnostic du VIH, de la tuberculose et du paludisme. D’une autre façon, étant donné que certains des symptômes de la tuberculose sont similaires à ceux du Covid-19, certaines personnes ont eu recours à l’auto-traitement en pensant qu’elles avaient le Covid-19, pour découvrir plus tard qu’elles avaient en fait la tuberculose. Et comme elles n’ont pas eu accès au traitement adéquat, la maladie avait progressé, jusqu’à devenir parfois incurable.
La pandémie de Covid-19 a également empêché un approvisionnement régulier en outils de diagnostic. Toute l’attention a été portée sur le déploiement des tests anti Covid-19 et ce sont finalement les tests de dépistage du VIH et de la tuberculose qui n’ont pas été réalisés, alors qu’ils sont tout aussi vitaux. Je pense en particulier aux tests PCR pour enfants, aux tests de charge virale pour les personnes vivant avec le VIH et aux tests génétiques pour les personnes suspectées d’être atteintes de tuberculose.
Enfin, dans certaines zones, les structures d’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, notamment adaptées aux jeunes, ont été mobilisées et transformées temporairement pour répondre aux besoins des personnes atteintes du Covid-19, ce qui a eu des conséquences considérablement néfastes sur l’accès aux services de prévention du VIH et de santé sexuelle et reproductive en général.
3. Pour vous quel est le rôle du Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme dans la promotion du droit à la santé pour toutes et tous ?
Le Fonds mondial joue un rôle essentiel en fournissant des ressources pour permettre à toutes et à tous d’avoir accès aux services de santé et en ne laissant personne de côté. Grâce au Fonds mondial, nous sommes en mesure de fournir des services aux populations difficiles à atteindre et marginalisées, en particulier les populations clés telles que les consommateurs ou consommatrices de drogues, les personnes transgenres, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les travailleur·se·s du sexe, qui n’ont pas toujours reçu beaucoup d’attention dans la lutte contre ces maladies.
Dans la plupart des établissements de santé, y compris là où je travaille, le Fonds mondial fournit des produits tels que des tubes de Falcon et des machines GeneXpert®, entre autres, pour que les patient·e·s puissent être testé·e·s et dépisté·e·s. Si le test est positif, c’est aussi grâce au Fonds mondial qu’ils bénéficient gratuitement de médicaments. Lorsque j’ai été infectée par la tuberculose, l’une des premières questions que je me suis posées était de savoir comment j’allais pouvoir acheter mes médicaments. J’étais dévastée d’apprendre que j’avais une tuberculose multirésistante, mais pendant les 24 mois de traitement, je n’ai jamais eu à payer quoi que ce soit et les médicaments étaient toujours disponibles.
Les ressources fournies par le Fonds mondial se retrouvent au niveau local et ne se concentrent pas uniquement sur les grandes villes. Je suis reconnaissante envers le Fonds mondial qui soutient les agent·e·s de santé communautaire car ce sont ces personnes qui assurent le suivi des patient·e·s pour vérifier qu’ils et elles prennent leurs médicaments, ce qui garantit l’accès de toutes et tous aux services de santé.
4. Quels changements faut-il engager pour atteindre l’Objectif de développement durable n°3 « Santé et bien-être” adopté par les Nations unies d’ici 2030 ? Quelles sont les recommandations que vous aimeriez adresser aux dirigeants mondiaux ?
Il est nécessaire d’investir davantage dans la lutte contre les pandémies de VIH/sida, tuberculose et paludisme qui constituent toujours une menace pour la santé publique mais aussi dans la lutte contre le Covid-19 qui réduit les progrès réalisés jusqu’à présent dans la lutte contre ces trois pandémies. Que ce soient les médicaments, les kits de test et les machines, tout cela reste très coûteux. Nous devons demander aux dirigeants de s’engager et d’investir davantage dans ces produits afin d’obtenir une bonne santé pour toutes et tous. Les dirigeants doivent s’engager à soutenir le Fonds mondial en mobilisant davantage de ressources à l’échelle locale et mondiale.
De plus, il est nécessaire de continuer à lutter contre les inégalités en matière de santé et les atteintes aux droits humains car elles ont tendance à alimenter les épidémies et à entraver l’accès aux services de prévention et de traitement.
Lorsque les ressources sont disponibles, il est important de les utiliser de manière efficace afin de s’assurer que nous sommes en mesure d’atteindre un maximum de personnes et de créer des synergies en santé si nécessaire. Si nous nous étions mieux préparés à l’arrivée d’une pandémie, nous n’aurions pas à déplorer les conséquences négatives du Covid-19 dans la lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme. Nous devons investir dans la préparation aux pandémies afin de mieux anticiper les menaces sanitaires internationales. Et ainsi, lorsqu’une pandémie fait son apparition, elle ne déstabilise pas tout notre système de santé comme l’a fait le Covid-19.
Enfin, je pense qu’il faut rappeler l’importance de la redevabilité dans le processus de financement de la santé. Nous devons nous assurer que les fonds parviennent aux communautés et pour cela, il faut faire confiance aux actrices et aux acteurs de terrain qui sont les plus conscients des besoins des populations. Les fonds ne doivent être utilisés que pour atteindre les communautés. Aujourd’hui, même si nous recevons les médicaments, les kits de test et d’autres outils, il y a encore des défis à relever. Par exemple, certain·e·s patient·e·s ont un faible indice de masse corporelle (IMC), et nous ne pouvons pas y faire grand-chose car nous n’avons pas de soutien nutritionnel. Pourtant, personne ne peut prendre un médicament ou suivre un traitement en ayant le ventre vide. Il est donc crucial de recevoir des fonds pour le soutien nutritionnel, car sans cela, les patient·e·s n’auront peut-être pas la chance de guérir de leur maladie.