EssentiELLES #1
Charlotte Nielsen est spécialiste Santé, DSSR et Genre au Global Financing Facility (GFF). Elle revient sur les difficultés d’accès aux droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR) et identifie les lacunes des systèmes de santé en matière d’intégration des DSSR dans leur service de santé de base. Parmi les pistes proposées par le GFF : investir les secteurs qui ont été négligés par l’aide internationale et diminuer la part des « paiements directs » dans les dépenses de santé.
Quel est votre rôle au sein du GFF ?
Je suis spécialiste principale de santé. Mon rôle au sein du Secrétariat est double : d’abord en tant que point focal pour trois pays en Afrique de l’Ouest (Niger, Cote d’Ivoire et la Mauritanie) et deuxièmement je suis chargée des questions DSSR et égalité de genre au niveau global.
Les DSSR sont un droit humain, pourtant des millions de femmes continuent d’éprouver des difficultés pour accéder aux services de DSSR, pourquoi selon vous ?
Comme mentionné dans la Feuille de route pour promouvoir l’Egalite de genre de GFF, plus de 800 femmes et adolescentes meurent chaque jour de causes évitables liées à la grossesse, à l’accouchement et l’absence d’accès aux DSSR. Ces inégalités de genre se traduisent en matière de restrictions de prise de décision, de mobilité, d’accès aux ressources, de droits légaux. Elles nuisent à la santé et au bien-être des femmes et filles, et à leurs possibilités d’accéder aux services DSSR.
Comment se concrétisent ces difficultés ?
Les obstacles d’accès aux services DSSR sont multiples. Je peux vous citer trois exemples :
1) la qualité des soins : une enquête publiée dans Lancet en 2019 a par exemple démontré que 42 % des femmes dans les pays enquête avaient été victimes d’un abus physique ou verbal, de stigma ou de discrimination. La qualité des soins passe, entre autres, par la disponibilité des commodités, un service avec de l’information correcte et sans discrimination, ainsi que l’acceptabilité des femmes et de leurs choix ;
2) l’accès financier : l’accès aux services de santé de base est souvent soumis aux paiement directs (« out-of-pocket payments » – paiements effectués par des particuliers à des prestataires de services de santé) par exemple pour les contraceptifs. Les femmes les plus pauvres et vulnérables ne sont donc pas en mesure de payer ces services et commodités ;
3) l’autonomisation de la femme : dans de nombreux pays, la femme n’est pas toujours en mesure de prendre des décisions qui concernent sa santé et son corps. Dans plusieurs pays en Afrique Subsaharienne par exemple, l’acte d’une césarienne demande souvent l’autorisation du mari. Ces multiples barrières rendent l’accès aux services DSSR difficile pour les femmes et les filles.
« Plus de 800 femmes et adolescentes meurent chaque jour de causes évitables liées à la grossesse, à l’accouchement et l’absence d’accès aux DSSR »
Comment pouvons-nous agir au niveau des systèmes de santé pour assurer que ces derniers soient à même de délivrer les services et soins essentiels en matière de DSSR ?
Les systèmes de santé doivent être en mesure de prendre des décisions fondées sur des données probantes, en prenant en compte de manière adéquate les besoins des différents groupes de population. Ils doivent aligner les ressources disponibles, mobiliser des financements additionnels et assurer l’efficience pour les priorités de santé, coordonner l’assistance technique et superviser le suivi et l’évaluation des résultats. Le GFF appuie des pays pour qu’ils définissent un ensemble de services de santé de base et mettent en œuvre des réformes axées sur le financement des services de première ligne, qui donnent la priorité aux DSSR et les protègent. Par exemple, au Nigeria, le processus de GFF a permis d’inclure l’accès aux services de planification familiale dans la Loi nationale sur la santé (National Health Act). Cette loi a établi un ensemble minimum de services de base gratuits et universels, y compris pour les adolescentes. Elle contribue entre autres à réduire le nombre de grossesses non planifiées chez les jeunes femmes et à améliorer l’accès des filles à l’éducation.
Le GFF a choisi de se mobiliser particulièrement sur les enjeux d’intégration des DSSR au sein des services de santé. Pourquoi est-ce un enjeu important ?
Le processus de GFF dans les pays se traduit par le développement d’un « dossier d’investissement ». Cela commence par l’évaluation de la charge de morbidité et d’autres données disponibles dans une optique d’équité et d’égalité de genre, en se concentrant sur les zones géographiques qui sont à la traîne ; les périodes négligées de la vie, telles que les premières années ou l’adolescence ; les interventions clés qui ont été sous-investis, comme le planning familial. Les pays qui participent au processus du GFF investissent dans des domaines à fort impact et à faible coût – et c’est justement le cas des DSSR. Investir dans les DSSR dans le cadre des politiques de Couverture Sanitaire Universelle (CSU) est un investissement logique et rentable. Par conséquent, les DSSR ont été priorisés dans chaque dossier d’investissement de GFF réalisé à ce jour.
« L’aide au développement que reçoivent les pays est souvent réservée à des domaines spécifiques, ce qui contribue à une fragmentation financière pour les services DSSR. Par conséquent, les interventions essentielles qui devraient être prioritaires ne sont pas fournies dans le paquet de soins de base »
Comment se traduit concrètement ce manque d’intégration des services de DSSR au sein des services de santé de base ?
L’aide au développement que reçoivent les pays est souvent réservée à des domaines spécifiques, ce qui contribue à une fragmentation financière pour les services DSSR. Par conséquent, les interventions essentielles qui devraient être prioritaires ne sont pas fournies dans le paquet de soins de base. Pour cette raison, le partenariat du GFF vise à appuyer les pays pour qu’ils alignent des financements externes, qu’ils obtiennent davantage de résultats avec les ressources existantes et qu’ils augmentent le volume des ressources nationales pour la santé. Dans de nombreux pays, la législation nationale – souvent sur la question d’avortement et sur l’accès indépendant des adolescents aux services DSSR – représente un autre type d’obstacle à l’intégration des DSSR dans un paquet de soins complet. Le GFF appuie actuellement plusieurs pays et des partenaires pour identifier des opportunités juridiques de réformes légales, afin de faire avancer les DSSR.
Quelles pistes pour répondre à ces enjeux ?
Il est essentiel de réduire la dépendance des points de santé des dépenses de santé par paiements directs. Pour ce faire, la mobilisation et l’efficience de ressources domestiques est essentielle pour pouvoir financer durablement un paquet de soins de qualité intégrant les DSSR. Ainsi, le GFF appuie les pays à effectuer des cartographies de ressources financières externes et domestiques, afin de mieux orienter les ressources disponibles vers les services tels que les DSSR. En outre, le GFF appuie les pays pour que les services de DSSR soient inclus et intégrés dans des systèmes de financement basés sur les performances et promeut son intégration dans les points de services existants, par exemple, le planning familial post-partum, les soins post-avortement et les interventions axées sur les adolescents.
« La réussite dans ce cadre sera de faire en sorte que le soutien politique se traduise par des engagements budgétaires et des actions durables au niveau national pour les DSSR »
Cette année, un évènement important pour progresser en matière d’accès équitable aux DSSR aura lieu, c’est le Forum Génération Egalité. Selon vous, en quoi ce forum sera une réussite ?
Le GFF est co-lead de la coalition DSSR du Forum de Génération Égalité. Ce forum est une opportunité de mobiliser davantage d’acteurs pour un large soutien politique aux DSSR et aux questions d’égalité de genre. Dans le contexte actuel du Covid-19, qui met les pays au risque de perdre les progrès réalisés en termes de santé, le maintien des services essentiels de la santé, y compris les DSSR, est plus important que jamais. La réussite dans ce cadre sera de faire en sorte que le soutien politique se traduise par des engagements budgétaires et des actions durables au niveau national pour les DSSR.