Entretien avec Carmen Romero, passionnée par le rôle des étudiant·e·s dans la conception des politiques en matière d’éducation et membre du conseil d’administration de la Campagne mondiale pour l’éducation, en tant que représentante au sein de la circonscription de la jeunesse et des étudiants.
1. Selon vous, quel rôle l’accès aux services sociaux de base tels que l’éducation joue dans la réduction des inégalités ? Pouvez-vous nous parler des interactions entre l’éducation et les autres services sociaux et dans quelle mesure ils se renforcent mutuellement ?
Les services sociaux de base, tels que l’éducation publique ou l’accès à la protection sanitaire se renforcent mutuellement et assurent que les populations, les individus et les sociétés bénéficient de conditions de vie plus justes pour vivre et se développer. Par exemple, beaucoup d’auteurs et de chercheurs estiment qu’ « avoir faim durant les temps de classes impacte sérieusement la capacité des enfants et des adolescents à apprendre, s’épanouir et à réaliser tout leur potentiel », sans mentionner le fait que la faim mène également à des difficultés dans le développement d’un enfant. Les conditions de vie d’un enfant, d’un adolescent ou d’une jeune personne sont des facteurs importants à prendre en compte lorsqu’on évalue la mise en œuvre des politiques publiques et si l’ensemble des citoyens sont effectivement inclus ou non dans l’accès aux services publics. Même lorsque l’on parle d’une éducation financée par des fonds publics, l’éducation a un coût pour la plupart des familles. Récemment, l’Organising Bureau of European School Student Unions a lancé une campagne sur le coût de l’éducation, dans laquelle les étudiants dénoncent notamment les coûts cachés de l’éducation tels que les livres et le matériel, les transports et le logement. Les écoles publiques, les lycées et les universités sont des institutions très intéressantes à analyser du fait de cette composante « bien public ». Quiconque, quel que soit ses origines, peut en bénéficier et c’est un pas vers un accès effectif à des opportunités égales. Mais c’est là que les décideurs politiques doivent faire la différenciation entre égalité et équité. Certes l’éducation publique est censée être accessible par tou·t·es mais tout le monde n’en bénéficie pas de la même manière selon leurs origines. Les services publics et sociaux sont fondamentaux pour assurer aux étudiant·e·s un accès à l’éducation dans des conditions égales. L’accès à l’éducation, à la santé, au logement sont supposés être des droits, mais lorsque tout le monde ne peut pas en jouir alors ce ne sont plus des droits, mais des privilèges. C’est pourquoi, d’autant plus en en période de crise, nous avons besoin de systèmes de protection publics pour assurer que personne ne soit laissé de côté.
2. Quels sont les principaux défis aujourd’hui, et quelles ont été les conséquences de la pandémie de la Covid-19 dans l’accès des populations aux services sociaux de base de manière générale, et plus spécifiquement à l’éducation ?
La pandémie de la Covid-19 a aggravé et aggrave, aujourd’hui encore, des inégalités préexistantes dans nos sociétés. Partout dans le monde, nous avons vu des étudiants d’écoles et d’universités souffrir les conséquences de la fermeture de leurs institutions scolaires et la manière dont les populations les plus vulnérables n’ont pas pu continuer leurs études du fait d’un manque d’accès à internet ou même aux outils digitaux. En septembre 2021, un an après le début de la pandémie, les ministres de la santé du G20 ont publié une déclaration connue sous le nom du « Pacte de Rome », dans laquelle il est écrit que : « La pandémie et ses conséquences socio-économiques ont impacté de manière disproportionnée les femmes et les filles, les personnes âgées, les personnes avec des invalidités, les jeunes personnes, les enfants ainsi que les plus pauvres et les plus vulnérables ». Bien que le document ait une rhétorique solidaire, il manque d’engagements financiers et de propositions concrètes pour contrer de manière effective les dommages causés par la pandémie, notamment dans les pays les plus vulnérables. La pandémie est une crise, et une crise n’est pas une situation temporaire. Lorsque la crise se termine, les sociétés et les pays ne reviennent pas aux contextes préalables à la crise. Les crises sont des transitions vers quelque chose de « nouveau » mais pas nécessairement mieux. Selon l’UNICEF, « après trois ans de pandémie de la Covid-19, 23 pays (accueillant 405 millions d’enfants scolarisés) doivent encore ouvrir totalement leurs écoles, avec beaucoup d’écoliers risquant de lâcher ». Selon moi le principal défi constitue l’accès à l’éducation pour tout le monde, qui est indispensable pour les individus pour se développer, et être indépendant. L’éducation est particulièrement importante pour les communautés et les sociétés globalement pour continuer à aller de l’avant et assurer le progrès. Comme l’a dit Nelson Mandela « le pouvoir de l’éducation va bien au-delà du développement des compétences dont on a besoin pour le succès économique. Il contribue à construire une nation ainsi qu’à la réconciliation ». C’est pourquoi, malgré les nombreuses crises du passé et celles à venir, l’éducation publique, aussi bien que les autres services publics doivent être promptes et protégées. C’est un défi du futur mais surtout du présent.
3. Quels sont les principaux défis pour garantir un accès de qualité, équitable et universel à l’éducation ? Comment la coopération internationale peut soutenir le renforcement de cet accès ?
Nous vivons dans un monde hautement interconnecté, tout évolue à la vitesse de la lumière. L’information, les produits, les idées, la connaissance, l’argent, tout. C’est l’une des caractéristiques du processus de mondialisation. Quelque chose qui m’a toujours inquiétée et qui évolue également très vite c’est la marchandisation de l’éducation. Sans mentionner les vagues de privatisation des services publiques auxquelles nous assistons après la crise économique et qui semble particulièrement à la mode après la crise sanitaire. Selon moi, les principaux défis pour l’éducation aujourd’hui sont : 1. Les idéologies néolibérales qui visent à privatiser les services publics tels que l’éducation, 2. Des politiques insuffisantes pour assurer un accès à une éducation de qualité, 3. Le manque de financement public pour l’éducation. Lula Da Silva, le président actuel du Brésil a dit une fois « Les personnes bien nourries peuvent améliorer leur dignité, leur santé et leur capacité à apprendre. Injecter davantage de fonds dans les programmes sociaux n’est pas un coût. C’est un investissement ». Aujourd’hui, nous avons le défi d’être pédagogue et de convaincre nos paires quel que soit leur âge, leur genre, leurs origines que nous avons besoin de gouvernements engagés à se battre pour leur population avec des responsabilités sociales, nous avons besoin de gouvernements qui n’ont pas peur de mettre les vies au cœur de leur agenda public. Alors qu’il existe des disparités importantes de revenus entre les individus et les foyers, nous avons besoin d’un système de taxe plus juste qui assure à tous un accès aux services publics. Les statistiques de l’UNESCO ont montré qu’au niveau mondial « 8,2% des enfants en âge d’aller à l’école primaire ne sont pas scolarisés. Seulement 6 sur 10 des jeunes finiront l’école secondaire en 2030. Le taux d’alphabétisation des jeunes (15-24) est de 91,73%, ce qui signifie que 102 millions de jeunes n’ont pas les compétences élémentaires pour lire. »
Comme je l’expliquais au début, nous vivions dans un monde hautement interconnecté et c’est pourquoi la coopération internationale est clef et fondamentale pour continuer à progresser en faveur des droits pour tous partout dans le monde. Dans un monde globalisé, nous avons besoin d’actions coordonnées de la part des gouvernements et de la société civile pour combattre les maux sociétaux tels que l’exclusion, la pauvreté extrême, la faim parmi tant d’autres problèmes auxquels les enfants et les personnes âgées sont confrontés quotidiennement. Cela ne peut pas être fait dans un ou deux pays, nous avons besoin que ce soit réalisé par le biais de moyens collectifs et d’engagements communs. Cela semble plus facile à dire qu’à faire, et pour cela nous avons besoin de comprendre que chaque contexte requiert des mesures différenciées « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » comme le soulignait Marx.