Entretien avec Hélène Gnionsahe, Présidente du Conseil d’Administration de l’Alliance de la société civile du réseau SUN (Scaling Up Nutrition) en Côte d’Ivoire.
1. En quoi les femmes et les filles sont-elles plus vulnérables face aux formes de malnutrition dans votre pays ?
La vulnérabilité des femmes aux différentes formes de malnutrition est due à des facteurs environnementaux, sociaux et culturels, renforcés par une insuffisance d’information sur les bonnes pratiques nutritionnelles.
En effet, en Côte d’Ivoire, la crise climatique renforce certaines pratiques nuisibles à la santé de la femme et la fille dans les communautés, particulièrement dans la partie nord. Il faut noter que, dans les ménages, les femmes et les filles portent majoritairement la responsabilité de la collecte de l’eau et du ramassage du bois pour le feu. Elles doivent parcourir de grandes distances dans leur recherche de ces ressources rares, afin d’entretenir leur foyer. Par ailleurs, les systèmes traditionnels de cuisson sont à base de bois qui, en plus de mettre la pression sur les ressources forestières, exposent ces femmes et filles à la fumée malsaine, ce qui renforce davantage leur vulnérabilité sanitaire.
À ceci s’ajoute l’amenuisement des terres arables pour les cultures vivrières d’où l’indisponibilité et les difficultés d’accès aux produits alimentaires. Ceci induit, avec des pratiques alimentaires inappropriées, la faim et la malnutrition. Pour faire face à ces difficultés existentielles, certaines familles sont amenées à marier leurs filles jeunes pour avoir une bouche de moins à nourrir, obtenir en échange le « prix de la mariée » (la dot), ou bien parce qu’elles sont convaincues que cela améliorera la vie de leur enfant. Ces mariages forcés entament déjà la dégradation de la santé de ces jeunes filles, futures mamans.
Il faut noter également que les pratiques nutritionnelles sont beaucoup influencées par les us et coutumes. Ainsi, dans le partage des repas, la femme et les enfants se contentent du peu tandis que les hommes s’octroient le privilège de la bonne part nutritive. Ceci, pour que la femme conserve son agrément et le capital affectif que lui donne l’homme dans le ménage. Aussi, faut-il observer que dans l’alimentation de la famille, la femme, sous la contrainte des us et coutumes ne peut consommer certains aliments malgré leur fort potentiel nutritif. De façon générale, que ce soit en milieu rural comme en milieu urbain, les repas ne sont pas équilibrés et les régimes alimentaires ne sont pas appropriés pour la santé par manque d’information suffisante et d’éducation nutritionnelle.
2. Comment agissez-vous pour améliorer la situation nutritionnelle et l’autonomisation des femmes dans les projets que vous menez ?
Alliance SUN Côte d’Ivoire a développé une stratégie qui promeut le genre dans ses projets afin d’améliorer l’état nutritionnel de l’ensemble des populations en Côte d’Ivoire. Cette stratégie consiste à mettre en œuvre des actions transformationnelles en faveur de la femme. Il s’agit d’activités d’éducation nutritionnelle et de sensibilisation sur les bonnes pratiques nutritionnelles et sanitaires (plus de 2275 femmes sensibilisées et formées) ; de sensibilisation sur les droits de la femme et les violences basées sur le genre pour recentrer la place de la femme dans le ménage et dans la communauté (communautés de plus de 91 localités du pays) ; de mise en place de tontines villageoises* pour les femmes qui leur permet de lutter elles-mêmes contre la faim et la malnutrition et de mener des activités génératrices de revenus (dans 46 localités du pays).
* Une tontine est une association collective d’épargne qui réunit des épargnants pour investir en commun
3. Beaucoup d’enjeux liés à la malnutrition des femmes et des filles sont liés à des questions de normes sociales et de pratiques culturelles. Comment peut-on agir pour la santé et le bien-être des femmes tout en respectant les cultures et les croyances ?
Il serait difficile d’agir pour améliorer la santé des femmes sans écorcher les us et coutumes. Cependant, il serait possible d’initier des actions transformationnelles avec une approche adéquate qui ne crée pas de rupture brutale avec certains éléments du code social, afin d’éviter une résistance dans les communautés. Adopter une telle stratégie pourrait d’ailleurs aiguiser davantage l’intérêt des communautés pour la nutrition.
4. Selon vous, quel soutien de la communauté internationale pourrait permettre de changer la donne ? Quelles sont vos attentes du Sommet N4G qui se tiendra à Paris en mars 2025 et des différentes parties prenantes (pays, donateurs, organisations internationales) qui y assisteront ?
Pour contribuer efficacement au changement, la communauté internationale devra privilégier le soutien technique et financier aux OSC nationales afin de les rendre plus opérationnelles sur terrain et aussi plus professionnelles.