Entretien avec Marco Schäferhoff, PhD, Directeur général de Open Consultants et co-auteur du rapport « Improving investments in climate change and global health: Barriers to and opportunities for synergistic funding« .
1. Pourriez-vous nous parler des questions clés abordées par vos travaux de recherche « Improving investments in climate change and global health: Barriers to and opportunities for synergistic funding » ?
Le changement climatique est l’un des plus grands défis pour la santé. Le lien entre la santé et le changement climatique est évident, mais la santé a toujours été en marge des discussions sur le climat. En même temps, le climat n’est pas une priorité pour les secteurs de la santé. Ainsi, l’un des principaux obstacles signalé par les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire est le manque de financement pour les investissements dans le domaine du climat et de la santé. Nous avons également observé que la santé et le climat ne sont pas pris en compte dans les structures de financement existantes, qui sont très verticales et cloisonnées. C’est ce qui nous a poussé à effectuer l’analyse que vous citez.
Dans ce rapport, nous avons analysé, de manière globale, le paysage actuel du financement du climat et de la santé, et ceci afin d’éclaircir plusieurs choses. Tout d’abord, pour comprendre comment les principaux bailleurs de fonds envisagent l’intersection du climat et de la santé, ensuite, pour comprendre dans quelle mesure le financement est effectué de manière synergique avec la santé en ayant en tête les objectifs de santé climatique. Enfin, il s’agissait de mieux cerner les principaux obstacles et les opportunités existantes afin de mobiliser davantage de financement du climat et de la santé, et d’imaginer comment on pourrait mieux utiliser le financement existant.
Notre analyse s’articule autour du concept de financement synergique. Nos recherches ont débuté fin 2022, avant la dernière Conférence de Parties (COP27). À cette époque, les discussions sur le financement du climat et de la santé étaient encore rares. Cependant, nous avons observé une évolution positive depuis lors, marquant un moment potentiellement charnière dans le traitement de ces questions vitales. Nous espérons que notre rapport, qui souligne les potentiels domaines d’action et de collaboration futurs, sera une nouvelle ressource utile et bienvenue. Nous espérons également que ce rapport catalysera les efforts qui visent à canaliser les ressources financières vers là où elles sont le plus urgentes.
2. Votre analyse montre que les fonds climatiques investissent très peu dans le secteur de la santé. Quelles sont les principales lacunes que vous avez identifiées ?
Notre étude adopte une approche globale en examinant les deux côtés du problème. D’une part, nous nous penchons sur les efforts déployés par le secteur mondial de la santé pour intégrer les objectifs d’adaptation au climat et d’atténuation des effets du changement climatique. D’autre part, nous examinons les perspectives des bailleurs de fonds climatiques, et leur intégration des objectifs liés à la santé.
En nous concentrant tout particulièrement sur les fonds climatiques, nous avons identifié des obstacles et des lacunes importantes, à la fois à l’échelle mondiale et, dans une certaine mesure, au niveau national. Mais tout d’abord, il est important de souligner une différence très intéressante : contrairement au secteur de la santé – où les principaux mécanismes de financement tels que GAVI, le Fonds mondial, UNITAID et d’autres opèrent dans le cadre de mandats étroitement définis – les fonds multilatéraux pour le climat présentent un avantage unique. En effet, leurs mandats sont de nature flexibles et relativement larges, ce qui crée des opportunités d’investissements directs dans le domaine de la santé.
Ces fonds multilatéraux ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que les mécanismes de financement de la santé. Ils peuvent donc investir dans le secteur de la santé et cette approche stratégique est la bienvenue quand on sait à quel point le secteur de la santé a des activités particulièrement énergivores. Par conséquent, ces investissements revêtent une importance cruciale dans le contexte des efforts d’atténuation des effets du changement climatique. Enfin, il est évidemment nécessaire de rendre les systèmes de santé plus résistants. D’une manière générale, il faudrait augmenter les financements de l’adaptation au climat. L’une des principales recommandations que nous formulons est de tirer parti des possibilités qui existent déjà.
Une deuxième difficulté réside dans le fait que l’investissement dans la santé ne fait l’objet que d’une attention stratégique très limitée de la part des bailleurs climatiques. À ce jour, seul le Green Climate Fund (Fonds vert pour le climat) a fourni des préconisations pour le secteur de la santé. Nous sommes convaincus qu’il est urgent que ces mécanismes climatiques mondiaux publient des préconisations claires sur les types de projets qui peuvent être financés et sur les mécanismes de financement appropriés. Au cours de nos recherches, nous avons également observé un obstacle important sous la forme d’une absence flagrante d’organisations de santé parmi les entités accréditées éligibles pour recevoir des fonds de ces mécanismes dédiés au climat.
Troisièmement, le secteur de la santé ne bénéficie pas des investissements des fonds multilatéraux pour le climat, ce qui n’est pas surprenant quand on sait que ce secteur n’a pas de préconisations élaborées à son égard et que très peu d’organisations accréditées auprès de ces mécanismes. Par conséquent, et malgré les besoins, les investissements des fonds climatiques dans le secteur de la santé sont proches de zéro.
Enfin, nous constatons un manque de participation des acteurs de la santé mondiale aux processus de financement et d’élaboration des politiques liés au climat. De nombreux gouvernements ne sont pas au courant des possibilités de financement des interventions liées à la santé par des institutions telles que le Green Climate Fund (Fonds vert pour le climat) ou le Adaption Fund (Fonds d’adaptation). Bien que certains pays fassent référence à la santé dans leurs documents de politique climatique nationale, tels que les contributions déterminées au niveau national (CDN), il existe un important décalage entre les intentions déclarées et leur transformation en véritables propositions de financement réalisables.
Pour résumer, cette situation représente une occasion manquée. En outre, alors que les donateurs bilatéraux s’engagent dans d’importants projets de lutte contre le changement climatique, il y a une absence notable de financements dédiés aux enjeux liants santé et du climat.
3. Dans votre analyse, vous avez mentionné que certains bailleurs fournissent un soutien financier et technique important pour les activités liées à la santé et au changement climatique et sont donc bien placés pour soutenir un financement synergique plus important. Si nous prenons l’exemple de l’Union européenne, quels types d’interventions, de politiques ou de systèmes de financement favorisaient les synergies entre la santé et le climat ?
Le cadre de l’OMS pour le climat et la santé pourrait être utile. Ce cadre met essentiellement en évidence trois approches principales. La première consiste à mettre en œuvre des mesures de santé publique et des mesures qui protègent les personnes des risques sanitaires liés au changement climatique. Deuxièmement, il s’agit de mettre en place des systèmes de santé à faibles émissions de carbone, durables et résilients et, troisièmement, de promouvoir des actions dans tous les secteurs qui réduiraient les émissions de gaz à effet de serre et amélioreraient la santé, par exemple en réduisant la pollution de l’air grâce à des systèmes énergétiques plus durables et en améliorant les systèmes alimentaires pour les rendre plus sains et plus durables.
Dans ces trois domaines, l’Union européenne (UE) est plutôt bien placée pour augmenter son impact. Les possibilités pour l’UE de faire progresser simultanément les objectifs en matière de climat et de santé sont vastes, et il convient de noter que ces possibilités peuvent être concrétisées sans nécessiter une forte augmentation des ressources financières. Ce qui est important, c’est de concevoir des programmes et des initiatives de manière réfléchie.
Toutefois, si la stratégie globale de l’UE en matière de santé fait mention du changement climatique, elle ne parvient pas à réellement faire le lien entre l’impact du changement climatique et la santé, et ne propose donc pas de solutions. Plus positivement, les instruments de financement existants et l’engagement de l’UE à soutenir l’atténuation des effets du changement climatique et l’adaptation à celui-ci offrent une voie pour financer davantage la santé.
Le programme Horizon Europe pour la recherche et l’innovation est un autre instrument à prendre en considération. Les efforts de recherche collaborative entre les pays peuvent contribuer de manière importante au développement de technologies de santé résistantes au changement climatique. Il pourrait s’agir, par exemple, de partenariats d’essais cliniques, qui jouent un rôle essentiel dans le renforcement des services de santé et dans l’introduction de nouvelles technologies.
Enfin, au-delà des instruments financiers, l’UE peut également jouer un rôle crucial en se positionnant comme un “participant actif” sur le sujet et en prenant clairement position. Si la COP (Conférence de Parties) est une plateforme bien connue, il existe d’autres mécanismes de coordination. En outre, en tant que membre du G20, l’UE a la possibilité d’engager des discussions importantes sur la santé et le changement climatique, comme en témoignent les engagements mis en avant lors des réunions des ministres de la santé du G20.
Pour résumer, l’UE a devant elle une véritable opportunité pour devenir un acteur de premier plan dans la lutte pour faire reconnaître les liens majeurs qui unissent les enjeux de la santé et du climat.