Entretien de Raby Sambe, Chargée de Projet Santé et Protection Sociale à CICODEV Africa.
1. Selon vous, quel rôle peut jouer l’accès de tou·te·s aux services sociaux de base tels que l’EAH (accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène), la santé, la protection sociale et l’éducation dans la réduction des inégalités ? Pouvez-vous nous parler de l’interaction entre ces services et de leur renforcement mutuel ?
Les services sociaux de base constituent un droit humain fondamental et permettent de satisfaire les besoins essentiels. La satisfaction de ces besoins dits essentiels favorise la dignité humaine et permet à chacun de vivre une vie saine et active qui facilite l’activité humaine ainsi que la capacité de représenter ses points de vue en tant que citoyen dans les instances de décisions. Tous ces éléments consacrent l’égalité des citoyens devant un service public essentiel.
La santé est à la base de tout. On ne peut mener une vie active, jouer son rôle de citoyen participant à la vie publique sans la santé. Vivre dans un environnement qui n’est pas sain, sans hygiène expose à des maladies qui peuvent nous empêcher de mener une vie active. Il en est de même pour l’accès à l’éducation qui permet de réduire les inégalités entre les couches sociales tout en favorisant la mobilité sociale. Notre état de santé et notre niveau d’éducation interagissent mutuellement sur notre capacité à prendre part de manière effective à la vie sociale et économique de notre village, ville, pays.
L’accès à ces services a ainsi un impact sur le niveau de vie socio-économique des populations en termes d’accès à des revenus ou à un emploi décent et sur le développement dans une mesure plus large. Et pourtant, l’accès à ces services essentiels est consacré dans l’ordonnancement juridique international à travers les Objectifs de Développement Durable (ODD). Ces derniers mettent notamment l’accent sur l’accès à l’eau potable et à un assainissement convenable, mais également sur la qualité et la disponibilité du service par un accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable, pour tous d’ici 2030. Cet objectif vise la réduction des inégalités à tous les niveaux (établissements scolaires et de santé, ménages, etc.) pour une meilleure prise en compte des besoins des populations surtout les plus vulnérables.
La sécurité sanitaire et la qualité de l’eau sont indispensables au développement humain et au bien-être. L’un des principaux enjeux pour les Etats est de favoriser un accès à une eau saine pour améliorer la santé et réduire la pauvreté. Au niveau humain, la question de l’eau ne peut être dissociée de celle de l’assainissement, de l’alimentation et de la santé. Cette interaction est manifeste et doit être gardée en ligne de mire si nous voulons réduire l’avancée non négligeable des maladies liées au manque d’eau douce, à l’alimentation et améliorer la santé, l’éducation et la productivité économique des populations. L’insuffisance ou l’absence des services d’alimentation en eau et assainissement ou leur mauvaise gestion exposent les personnes concernées à des risques évitables pour leur santé. Selon l’OMS (Mars 2022), « la contamination microbiologique de l’eau potable peut être à l’origine de la transmission de maladies telles que la diarrhée, le choléra, la dysenterie, la fièvre typhoïde et la poliomyélite, et on estime qu’elle entraîne chaque année 485 000 décès consécutifs à des maladies diarrhéiques ». L’accès à ces différents services sociaux constitue ainsi un réel défi pour l’amélioration des conditions de vie socio-économique des couches vulnérables.
2. Quels sont les principaux défis actuels et quelles ont été les conséquences de la pandémie de la Covid-19 dans l’accès des populations aux services sociaux de base en général et plus précisément à l’EAH, la santé et l’éducation ?
L’un des enjeux majeurs pour le Sénégal et pour les pays africains est l’atteinte de la souveraineté alimentaire, médicinale et pharmaceutique. Dans le domaine de la santé, le défi majeur est celui de l’autonomie, de la responsabilité et de la souveraineté. Soigner ses citoyens est un domaine de souveraineté qu’une nation ne peut transférer à une partie tierce, une partie étrangère. Un État tire sa légitimité de sa capacité à faire face aux besoins de ses citoyen·nes. Aucune nation ne peut attendre que le citoyen européen, américain ou chinois paie pour qu’il puisse soigner ses enfants quand ils tombent malades.
C’est pourquoi nos États doivent considérer la santé comme un domaine de souveraineté, comme la défense des frontières nationales ou comme les relations internationales. Et c’est pourquoi c’est à l’État qu’il incombe d’organiser les conditions pour que ses citoyens puissent se soigner quand ils tombent malades. Il doit donc exister une centralité de la santé dans toute politique de développement sociale ou économique. C’est cette vision qui avait conduit les chefs d’État africains lors du sommet de l’Union Africaine tenu à Abuja en 2001 à s’engager à affecter au moins 15% de leur budget national, de leur richesse nationale à la santé publique d’ici à 2015. Moins de 10 pays sur 54 en Afrique ont réussi ce pari à l’échéance. La Covid 19 est venue nous rappeler cette vérité que nous n’aurions jamais dû oublier. De la même manière, la souveraineté alimentaire pour et par un accès régulier et durable des consommateurs urbains, périurbains et ruraux, à une alimentation saine et nutritive constitue un enjeu majeur pour les pays en développement compte tenu des liens entre l’alimentation et la santé.
Pour sa part, la Covid-19 a révélé la faiblesse de notre système de santé avec la nécessité de redéployer le personnel sanitaire pour les services de secours liés à la pandémie, la fermeture et l’indisponibilité des établissements et services de santé. Cette précarité a naturellement augmenté les inégalités dans l’accès à des soins de santé de qualité. La pandémie a entraîné la rupture dans la fourniture, l’accès et la continuité de certains services sociaux de base notamment la santé, l’éducation, la mobilité. Elle a eu un impact certain sur le système de santé. En effet, elle a contribué à limiter l’accès aux soins aux populations les plus vulnérables. Les citoyens malades de certaines affections chroniques comme l’hypertension artérielle, le cancer ont dû suspendre le suivi et le contrôle de leur maladie par crainte de contracter la pandémie au niveau des structures hospitalières.
Il en a été de même des établissements scolaires qui ont dû arrêter leurs activités durant la période où la maladie avait atteint son plus haut niveau de contagion. Les citoyens vivant des ressources tirées du secteur informel ont aussi vu leurs activités menacées du fait de la réduction de la mobilité urbaine et interurbaine. Dans une enquête réalisée par CICODEV en juillet 2020, il a été noté qu’au Sénégal, la vie économique de certaines régions est marquée par les échanges économiques au sein des marchés quotidiens, hebdomadaires (louma) ou supermarchés, ces lieux où les consommateurs s’approvisionnent en produits de toutes sortes : denrées alimentaires agricoles, maraîchers, aliments de bétail, produits phytosanitaires, volaille, produits cosmétiques, habillement, sont de véritables zones de brassage économique et culturelle. À l’image des Louma dans le sud du Sénégal qui polarisent plus de 60 villages environnants avec plus de 600 tonnes de riz, plus de 300 tonnes de céréales et plus de 800 tonnes de légumes vendus par mois, la région renferme le plus grand marché hebdomadaire de l’Afrique de l’Ouest : le « Louma de Diaobé » avec un chiffre d’affaires de 700 000 000 FCFA (environ 1 067 143 Euros) par semaine. La fermeture du marché de Diaobé pendant 8 semaines a entraîné un manque à gagner estimé à environ 5 milliards de FCFA (environ 7 622 450, 86 Euros).
3. Quels sont aujourd’hui les principaux défis pour garantir un accès équitable et universel à ces services ? Comment l’aide publique au développement pourrait-elle soutenir le renforcement de cet accès ?
Le premier défi c’est la pauvreté qui exclut une grande frange des populations à l’accès à des services sociaux de base pérenne. Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté a augmenté au Sénégal (5 832 008 en 2011 contre 6 032 379 en 2018). Par rapport au milieu de résidence, la pauvreté est plus accentuée en milieu rural (53,6% contre 19,8% pour le milieu urbain) où il ressort une hausse plus importante du niveau de pauvreté (Rapport ANSD 2019). Il existe donc une vulnérabilité de plus en plus croissante des couches défavorisées nécessitant ainsi une stratégie nationale pour la réduction des inégalités liées à l’accès aux services sociaux de base.
Le deuxième défi qui me paraît évident est centré sur les politiques publiques qui ne sont pas toujours adaptées aux besoins et aux capacités financières des populations les plus défavorisées. Dans le domaine de la santé, le gros des financements de l’Etat est destiné aux hôpitaux qui sont au sommet de la pyramide sanitaire alors que les centres et postes de santé à la base polarisant le plus de population, bénéficient d’un faible appui des politiques publics. Par ailleurs, jusqu’en 2012, seul 20% de la population sénégalaise était couverte contre le risque maladie contre 80% qui se trouvent principalement dans le secteur rural et informel. C’est ainsi que le programme de la couverture maladie universelle a été officiellement lancé en 2013 au Sénégal dans le but d’offrir à tous les sénégalais, toutes catégories et couches socio-professionnelles confondues, un accès aux services de santé sans entrave financière à travers des mécanismes d’assurance maladie universelle. Toutefois, pour prendre en charge leur capacité contributive et être enrôlées dans les mutuelles de santé, les communautés ont de plus en plus recours aux Mécanismes Endogènes de Financement de la Santé (MEFS).
Un exemple d’expérience réussie, les champs communautaires villageois dont la vente des récoltes est affectée exclusivement au paiement de leur frais d’adhésion et de cotisation aux mutuelles de santé, permettant à tous les habitants de se soigner quand ils sont rattrapés par la maladie. En zones péri-urbaines et urbaines, les MEFS se déclinent sous des formes diversifiées et adaptées au vécu sociologique et économique des communautés : c’est par exemple, les groupes organisés comme les AVEC (Associations villageoises d’épargne et de crédit), les tontines, les GIE de femmes qui prélèvent une partie de leur cagnotte ou gains pour l’affecter à la prise en charge de leur couverture contre le risque maladie en adhérant aux mutuelles de santé et en créant par la même occasion des activités génératrices de revenus. Il nous faut donc identifier et promouvoir les Mécanismes endogènes de financement de la santé (MEFS) pour l’Extension de la couverture du risque maladie à travers des stratégies d’enrôlement particulièrement des cibles indigentes dans les mutuelles. Ce qui correspond à l’une des lignes d’action prioritaire du Plan National de Développement Sanitaire et Social (PNDSS).
Ce qui peut permettre à l’APD de soutenir le renforcement de l’accès aux services sociaux de base c’est d’abord que la formulation des programmes soit prise en charge par les politiques publiques nationales. Le pays récipiendaire avec toutes ses composantes (Etat, société civile, Collectivités Territoriales, communautés, secteur privé) doit définir ses priorités. Il faut ensuite un alignement des pays donateurs sur les priorités définies par les pays récipiendaires. Si par exemple la priorité définie dans le domaine de la santé est la lutte contre les maladies non transmissibles, l’aide publique doit concourir à la réalisation de la stratégie nationale liée à cette thématique. Il y a enfin la redevabilité sur l’efficience et l’efficacité dans les engagements des pays récipiendaires et donateurs. En effet, les pays récipiendaires doivent rendre compte sur l’utilisation de l’APD. La redevabilité permet ainsi une utilisation et une gestion efficiente des ressources. Pour les pays donateurs, ils doivent mettre en place des stratégies pour rendre accessibles les ressources tout en respectant leur engagement de mettre un pourcentage défini de leur PNB à l’APD. Les programmes devraient ainsi faciliter l’autonomisation des communautés défavorisées afin de réduire considérablement les inégalités et aider les pays africains à aller vers une souveraineté à tout point de vue.