Un « scandale moral », c’est en ces termes que le Directeur général de l’OMS Tedros Ghebreyesus désignait mi-juillet les inégalités mondiales en matière d’accès aux outils de lutte contre le Covid-19. Alors qu’on aura bientôt administré autant de doses de vaccins que de population sur terre, à peine 3% du continent africain est totalement vacciné. Mi-septembre, moins de 2% de la population adulte des pays à revenu faible était complètement vaccinée, contre 50% dans les pays à revenu élevé. Plus de 18 mois après le début de la pandémie et malgré de nombreux appels lancés à la communauté internationale, l’inéquité entre pays pauvres et pays riches continue de croître. La France, pourtant moteur de la réponse internationale à la pandémie, peine à mettre en pratique ses discours pour faire réellement du vaccin un « bien public mondial ».
Blocage diplomatique à l’OMC en matière de partage de propriété intellectuelle
Le 6 mai dernier, emboitant le pas des Américains, le Président Emmanuel Macron se déclarait favorable à une levée des brevets sur les vaccins contre le Covid-19. Alors que cette annonce présageait un tournant significatif dans la lutte globale contre la pandémie, elle ne s’est finalement pas encore traduite par des mesures concrètes. En effet, la Commission européenne continue jusqu’ici de faire barrage à la suspension des protections de propriété intellectuelle sur les vaccins au sein des négociations en cours à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). La France aurait pourtant pu user de son poids diplomatique pour se positionner clairement et fermement en ce sens à l’OMC et faire basculer la position européenne sur ces enjeux. Mais le gouvernement français semble finalement préférer faire machine arrière, et adopter une diplomatie « pragmatique » donnant priorité aux enjeux de transfert de technologie et de capacité de production au Sud plutôt qu’au partage de la propriété intellectuelle. Or, tant que l’approvisionnement mondial dépendra des prérogatives commerciales et des droits exclusifs des sociétés pharmaceutiques au Nord, les outils de lutte contre le Covid-19 ne deviendront jamais réellement bien public mondial. Certes, un effort considérable doit être fourni pour intensifier le transfert de technologie et les capacités de production au Sud, mais le partage de la propriété intellectuelle est nécessaire maintenant pour produire davantage, plus vite, moins cher et sur l’ensemble du globe.
Des financements internationaux toujours insuffisants pour couvrir les besoins mondiaux
Au-delà des blocages sur les enjeux de propriété intellectuelle, les mécanismes internationaux de réponse à la pandémie se heurtent également à un manque de financement pour pouvoir couvrir l’ensemble des besoins mondiaux. Le dispositif ACT-A, dont la France est notamment à l’origine, vise ainsi à garantir un accès équitable aux outils de lutte contre le Covid-19 avec des objectifs clairs : distribuer 2 milliards de doses de vaccins, 900 millions de tests et 165 millions de traitements d’ici la fin de l’année 2021. Mais le manque de financement pour atteindre ces objectifs s’élevait encore à 16,6 milliards de dollars US en date du 13 août, en dépit des sommes importantes déjà levées. En cause, une insuffisance des contributions des pays les plus riches pour répondre aux besoins financiers.
Ainsi, selon le modèle de « juste contribution » développé par ACT-A 1 , la France devrait contribuer à hauteur d’un peu plus d’un milliard d’euros en faveur du dispositif de la plateforme. Or, alors qu’Emmanuel Macron a promis d’y verser 500 millions, deux fois à un an d’interval, jusqu’à aujourd’hui, la France n’y a contribué qu’à hauteur de 260 millions d’euros, soit seulement 25 % de sa promesse.
D’autres pays pourtant, ont déjà contribué en faveur du dispositif au-delà de leur juste part, comme l’Allemagne ou le Canada qui se sont déjà respectivement engagés à hauteur de 2,216 milliards d’euros (soit 131% de la juste part) et 920 millions d’euros (soit 108% de la juste part).
Le partage de vaccins par les pays riches, encore à la traîne
Enfin, face aux nombreux appels lancés par l’OMS alertant contre le nationalisme vaccinal pratiqué par les pays riches, les membres du G7 se sont finalement engagés à partager 1 milliard de doses, dont la moitié d’ici la fin 2021. Cependant, en date du 20 septembre, seules 286 millions de doses avaient été effectivement distribuées par le mécanisme Covax. L’Union européenne, qui devait livrer plus de 200 millions de doses aux pays les plus pauvres d’ici la fin de l’année 2021, n’en avait pourtant livré qu’une vingtaine de millions début septembre.
Sur ce point, la France fait partie des bons élèves puisqu’elle a été le tout premier pays à partager des doses de vaccins dans le cadre du mécanisme Covax. Au total, ses promesses s’élèvent à plus de 60 millions de doses d’ici la fin 2021, et la France semble en bonne voie pour tenir l’échéance puisque 19% de ses promesses est déjà livré en ou en cours de livraison. Pour autant, elle devra faire encore davantage pour s’assurer que l’objectif, fixé par l’OMS, de vacciner 70% de la population mondiale d’ici le milieu de l’année 2022.
Personne ne sera en sécurité, tant que le monde ne sera pas vacciné contre le Covid-19. Les prochaines échéances internationales à venir telles que le sommet des Chef.fe.s d’Etat et de gouvernement du G20 seront des moments clefs pour concrétiser ces annonces et rattraper le retard pris. La France doit mettre en application ses discours, utiliser son poids diplomatique pour accélérer les discussions à l’OMC en faveur de la levée des brevets, engager les financements promis en faveur l’ACT-A rapidement pour atteindre sa juste part, et augmenter ses dons en matière de vaccins pour contribuer à l’atteinte des objectifs fixés par l’OMS pour l’année 2022.
1. Pour répondre au manque de financement du mécanisme ACT-A, la plateforme a notamment développé un modèle de « fair share » ou de « juste contribution », afin de calculer le montant des justes contributions de chaque pays en fonction de leur produit intérieur brut (PIB) au taux de change du marché (TMC), de leur PIB au TCM ajusté à l’ouverture économique, ainsi qu’à la progressivité sur la base de leur PIB par habitant.