EssentiELLES #2
Afin de réduire la prévalence des mutilations sexuelles féminines chez les filles âgées de 0 à 14 ans dans la région de Sédhiou au Sénégal, Amref Health Africa a mis en place le projet Devenir, pour renforcer les capacités de leadership et d’organisation des acteur.rice.s de la société civile et favoriser l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive des adolescent.e.s et des jeunes. Papa Gorgui Ndiaye, inspecteur académique de la région de Sédhiou, revient ici sur le projet et la manière dont il a contribué à améliorer l’accès des filles et des femmes à leur santé.
Qu’a apporté le projet DEVENIR au système scolaire à Sédhiou ?
Dans la région de Sédhiou, au Sénégal, la mutilation est un sujet tabou car nous sommes dans un milieu où la pesanteur socioculturelle est réelle. Ce sont des questions qu’on aborde difficilement. Amref est venu donner une réponse à nos interrogations sur la manière d’aborder les sujets de santé reproductive et concernant les mutilations sexuelles féminines, ce qui fait partie intégrante du projet DEVENIR.
Ce projet a permis de former des élèves leaders qui ont ouvert le dialogue sur la santé sexuelle, sur la grossesse et les mutilations. La jeunesse en parle : ils ouvrent le dialogue à une échelle communautaire. La plupart de ces élèves leaders sont des filles, mais il y a aussi quelques garçons. Cela a permis d’informer la communauté sur l’hygiène et sur la protection en matière de santé sexuelle, mais aussi sur les dangers (VIH, IST, MST…). Ce projet a eu un apport vraiment positif.
Avant ces projets, l’éducation nationale avait du mal à ouvrir le dialogue sur ces sujets ?
On n’est pas arrivée sur un « terrain vierge » : il y a eu des projets antérieurs, et notre approche s’est inscrite dans une certaine continuité tout en adoptant une approche innovante de responsabilisation des jeunes.
Pour parvenir à un changement social, il faut beaucoup de patience, ça demande du temps parce que les changements ne s’observent que sur le long terme. Cette contribution permet vraiment de concrétiser ces changements sociaux.
Vous avez évoqué des barrières socioculturelles en matière de santé sexuelle. Quelles sont-elles ?
Les filles sont éduquées dans des règles et des coutumes qui visent à éteindre leur « leadership » : la femme ne doit pas parler trop fort, elle doit se soumettre. La jeune fille va naturellement prendre exemple sur sa mère et son environnement. Mais lorsqu’elles deviennent élèves leaders au sein du projet DEVENIR, elles acquièrent un leadership nouveau qui leur permet de se protéger. Il leur permet de s’armer face à ce fléau, et ainsi leur position face à un danger ne sera pas la même. Ces changements ne peuvent que passer par la formation, l’éducation, le dialogue, la discussion…
Les filles, en comparaison aux garçons de leur âge, ont beaucoup de responsabilités. D’abord, elles sont sollicitées par leur mère pour aider à la maison, elles ont donc moins de temps que les garçons et plus de charge mentale. Mais elles sont aussi convoitées par les garçons, tout en restant soumises à un cadre social qui leur dicte leur comportement.
Le leadership va apporter aux filles des compétences ; il faut les autonomiser, mais toujours dans le respect des valeurs sociales et culturelles.
Que prévoit le système scolaire sur la santé et l’hygiène des élèves ?
Il y a des cours sur la santé et sur l’hygiène, notamment en Science et vie de la terre (SVT) , mais de manière très approximative et très générale. Il existe des professeurs d’économie familiale et sociale”. Seulement, cette discipline n’est pas assez élargie et il y a aujourd’hui encore très peu de collèges qui ont du personnel formé sur cette nouvelle matière.
Heureusement, des clubs de prévention sont mobilisés dans les collèges avec des plans d’action de sensibilisation, où est conviée à chaque fois une personne ressource pour venir discuter d’une thématique définie. Toutes ces interventions peuvent être des occasions pour parler de santé sexuelle.
En dehors de l’école, il y a des centres ado qui sont des espaces dédiés aux jeunes et qui donnent des informations sur la santé sexuelle. Le service d’inspection médicale des écoles – lMO – travaille aussi en collaboration avec des aides-soignants. Donc il y a des complémentarités et des collaborations qui fonctionnent. Un enseignant peut faire appel à une personne ressource. À l ‘école, ensuite, de s’ouvrir à ces personnes et à leurs interventions pour faire naître le dialogue.
Quels sont les principaux défis spécifiques aux filles scolarisées ?
Les filles, comme toutes les filles, sont confrontées à des problèmes hygiéniques. D’autant qu’il existe une vraie pudeur face au tabou que sont les menstruations. Les filles sont régulièrement amenées à sécher les cours lorsqu’elles sont en cycle de règles, par peur de les avoir à l’école puisqu’il n’y a pas de dispositifs pouvant les rassurer à ce propos. Les enseignants devraient être sensibilisés à cela, mais ce n’est pas le cas.
Comment agit le projet DEVENIR dans ce contexte ?
Ce projet s’appuie sur une dimension communautaire qui est importante pour que cela fonctionne. C’est pourquoi il faut capitaliser dessus.
Les partenariats sont fondamentaux, car il y a des sujets transversaux qui rejoignent les questions de santé sexuelle. Par exemple, nous avons un partenariat de santé avec l’Unicef qui a lancé un vaste programme de distribution de serviettes hygiéniques. L’instruction médicale des écoles dispense aussi des ateliers et des actions avec les enseignants. Il y a eu des mises à disposition de serviettes hygiéniques dans les établissements à ces occasions. Il est important qu’il y ait une symbiose des partenaires pour permettre de régler ces questions.